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код для вставкиCouches minces supraconductrices sous courant de transport : dissipation et application Christophe Peroz To cite this version: Christophe Peroz. Couches minces supraconductrices sous courant de transport : dissipation et application. Supraconductivité [cond-mat.supr-con]. Université Joseph-Fourier - Grenoble I, 2003. Français. �tel-00004208� HAL Id: tel-00004208 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00004208 Submitted on 21 Jan 2004 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Université Grenoble I - Joseph Fourier PEROZ Christophe Couches minces supraconductrices sous courant de transport : dissipation et application THESE pour obtenir le grade de DOCTEUR Discipline : PHYSIQUE Composition du jury : Prof. GOUPIL Christophe (rapporteur) Prof. OBRADORS Xavier (rapporteur) Dr. BRUZEK Christian-Eric (examinateur) Prof. FISHER Øystein (examinateur) Prof. KLEIN Thierry (examinateur) Dr. TIXADOR Pascal (invité) Dr. VILLARD Catherine (directeur de thèse) Centre de Recherches sur les Très Basses Températures Consortium de Recherches pour l’Emergence des Technologies Avancées Centre National de la Recherche Scientifique REMERCIEMENTS mon directeur de thèse Catherine Villard Sulpice André Fisher Thierry Klein, Christophe Goupil, Christian Eric Bruzek, d’avoir accepter de juger cette thèse. Tixador Pascal Robert Tournier, Bernard Hébral, Henri Godfrin, Je tiens à remercier les personnes qui ont contribué chacune avec leur propre compétence à l’aboutissement de cette thèse : M.D. Bernardinis, D. Bourgault, J.L. Bret, J.P. Brison, P. Butaud, D. Buzon, B. Canals, L. Carbone, T. Crozes, D. De-Barros, D. Devillers, M.F. Devismes, G. Donnier-Valentin, A. Emmanuel, T. Fournier, P. Gandit, C. Guttin, B. Maire-Amiot, P. Odier, M. Pauly, S. Phok, L. Porcar, D. Rauly, P.F. Sibeud, D. Shi, Z. Supardi. Durant cette thèse j’ai co-encadré différents stagiaires que je remercie également : L. Gallera, A. Ollagnier, E. Vassileva, T. Schilling. Je n’oublie pas également les personnels techniques des services micro-fabrication, cryogénie, électronique et les secrétaires du CRTBT qui ont toujours su répondre à mes besoins avec une grande efficacité. Pour finir, j’aimerais souligner le cadre de travail très conviviale et très efficace que représente le CRETA et se fut un plaisir d’avoir la chance d’y travailler, une nouvelle fois Merci beaucoup Catherine. . . Note personnelle.. J e me rappelle souvent ma première réaction face à ‘‘ma’’ découverte de la supraconductivité lors d’un cours de ma^ ıtrise : ‘‘c’est merveilleux ! il doit y avoir de super applications! tu es décevant christophe, tu n’as jamais pensé que la résistance électrique pouvait e ^tre nulle...’’ Accompagné de ces sentiments (toujours présents d’ailleurs), j’ai entrepris la recherche scientifique que je m’essaye perilleusement de résumer avec une envie de clarté dans les pages suivantes. Vous trouverez au fil des pages, quelques pensées d’auteurs heurtant mon esprit. Avant d’écrire plus, je souhaite adresser ma reconnaissance à la nation francaise pour le financement de cette recherche et de mes études supérieures, et dédie toute cette période à ma mère, mon père et ma petite soeur. PEROZ Christophe 4 Table des matières I La supraconductivité dans les couches minces I.1 L’état supraconducteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 9 I.1.1 Ses généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 I.1.2 Des nanotourbillons d’électricité : les vortex . . . . . . 13 I.1.3 supraconductivité et piégeage de surface . . . . . . . . 21 I.2 Vers une technologie supraconductrice? . . . . . . . . . . . . . 25 I.3 les conducteurs souples de seconde génération : l’espoir présent 28 II Dynamique des vortex dans des films minces de niobium 35 II.1 Dynamique des vortex à grande vitesse : brève synthèse . . . . 36 II.1.1 un écoulement visqueux de vortex : le modèle de “flux flow” . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 II.1.2 une instabilité de “flux flow” : la fin des vortex . . . . . 38 II.2 Systèmes étudiés et dispositifs expérimentaux . . . . . . . . . 44 II.2.1 couches minces de niobium : un système modèle . . . . 44 II.2.2 dispositifs expérimentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 II.3 Transition vers l’état normal ou la fin intrinsèque des vortex . 47 II.3.1 caractéristiques des échantillons . . . . . . . . . . . . . 47 5 II.3.2 identification d’un régime de “flux flow” à viscosité constante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 II.3.3 propriétés du saut vers l’état normal : instabilité de “flux flow” . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 II.4 Influence de la surface sur les courants critiques . . . . . . . . 58 II.4.1 l’effet de proximité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 II.4.2 courants critiques dans Nb/Au . . . . . . . . . . . . . 60 II.4.3 influence de la surface . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 II.5 Effets de bord . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 II.5.1 systèmes à bords contrôlés . . . . . . . . . . . . . . . . 67 II.5.2 mise en évidence de la prédominance des effets de bords dans Au/Nb/Au . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 II.5.3 barrière de surface et asymétrie du courant critique . 72 II.6 Perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 III Des bicouches YBaCuO/Au comme limiteurs de courant 75 III.1 Limiteur supraconducteur de courant de défaut : un “superfusible” permanent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 III.1.1 La limitation du courant : un concept innovant . . . . . 76 III.1.2 Caractéristiques des bicouches YBaCuO/métal . . . . . 80 III.2 Transition vers l’état dissipatif sous faibles et fortes densités de courant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 III.2.1 dissipation en champ propre . . . . . . . . . . . . . . . 83 III.2.2 influence de la vitesse d’injection du courant . . . . . . 88 III.2.3 phénomènes thermiques et dérivation par le shunt métallique 95 III.3 Les films YBaCuO/Au comme limiteurs de courant alternatif . 97 6 III.3.1 détails expérimentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 III.3.2 régime nominal et propriétés de limitation . . . . . . . 99 III.3.3 récupération sous courant . . . . . . . . . . . . . . . . 102 III.3.4 connexion d’un transformateur : un surcourant “commun” . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104 III.4 Le limiteur du courant DC pour une revanche du courant continu107 III.4.1 dispositif experimental . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 III.4.2 transition en courant continu DC . . . . . . . . . . . . 108 III.4.3 expériences de limitation et récupération . . . . . . . . 110 III.4.4 conditions de récupération . . . . . . . . . . . . . . . . 112 III.5 Perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 7 Introduction La longue marche de la connaissance et de l’exploitation de l’état supraconducteur a débutée voilà près d’un siècle. Celle-ci a franchi plusieurs étapes tant d’un point de vue fondamental (théorie BCS, vortex..) que dans la préparation de nouveaux matériaux (supraconducteurs à hautes températures critiques..) aux propriétés exploitables dans des applications. Son histoire arrive à présent dans une phase décisive où la supraconductivité a besoin de prendre de nouveaux “souffles” tant en physique fondamental que pour son émergence réelle dans la vie quotidienne. Dans le monde des applications, l’une des perspectives de la supraconductivité les plus prometteuses est le développement, à des prix réalistes, de couches minces ou épaisses de supraconducteurs à hautes températures critiques. Grâce à leur capacité à transporter du courant (résistance électrique nulle) sans perte d’énergie 1 , les supraconducteurs sont très attractifs dans le domaine de l’énergie électrique. Ils pourraient apporter des solutions nouvelles pour la protection de l’environnement qui est certainement l’un des défis majeurs, si ce n’est essentiel, du XXIeme pour l’humanité. Dans cette perspective, il est nécessaire de contrôler et de comprendre les propriétés et le comportement d’un film supraconducteur sous courant de transport. Ce sujet est au centre des recherches exposées dans le présent manuscrit. L’objectif de cette thèse est double. Il est tout d’abord d’apporter quelques éléments supplémentaires à la description du passage de l’état supraconducteur non dissipatif à l’état normal “hautement dissipatif” d’un film supraconducteur soumis à un courant de transport. Cette étude à caractère “fondamental” a été menée dans un supraconducteur conventionnel (film de niobium). Ce choix permet de réduire “la complexité” du milieu étudié et de discerner les phénomènes dominants la transition dissipative sous courant dans des systèmes plus complexes tels que les films supraconducteurs à hautes températures critiques. L’influence de la surface et des bords d’un film supraconducteur sur la dissipation est également montrée et ses implications technologiques sont discutées. L’autre modeste ambition est la vérification du potentiel des films minces supraconducteurs à hautes températures critiques (dans le cas présent : Y BaCuO) pour une application donnée : la limitation du courant. Avant de détailler dans l’ordre ces deux parties, un premier chapitre introduit la supraconductivité dans le cadre particulier des couches minces. 1. dans l’absolu, il est nécessaire de considérer les pertes hystérétiques. Chapitre I La supraconductivité dans les couches minces “On célèbre souvent le progrès général de la société canine à travers les âges, et par là on semble surtout penser aux progrès de la Science. Certes la Science progresse sans arrêt, elle progresse même avec une rapidité de plus en plus grande, mais qu’y-a-t’il là de glorieux? C’est comme si on voulait glorifier quelqu’un de vieillir en prenant de l’âge et de s’approcher ainsi de plus en plus vite de la mort. Ce n’est là qu’un phénomène naturel et même douloureux..” (Franz KAFKA) Tel un instantané, cette première partie donne des clefs nécessaires à la compréhension des expériences menées et de leurs résultats. L’état supraconducteur dans le cadre particulier des couches minces est décrit de manière concise, puis sont présentées les implications technologiques, tel que le transport du courant, de ces films minces. I.1 L’état supraconducteur un passé, en 3 périodes : Trois grandes dates marquent la recherche expérimentale sur la supraconductivité. La première est l’observation en 1911 par Karmeling Omnes et son étudiant 1 d’un état de résistance nulle dans le mercure à la température de 4,2 K : l’état supraconducteur était démasqué. Par la suite, de nombreux composés présentèrent des propriétés supraconductrices en dessous d’une température Tc qui demeura inférieure 1. H.Kamerling Omnes et al., 1911 Akad. van Wetenschappen 14 113 818 9 à 23,2 K : ce sont les supraconducteurs dits à “basses Tc ” (SBTC). Cette imposante contrainte en température restreignit l’émergence des applications supraconductrices jusqu’à ce que J.G. Bednorz et K.A. Müller 2 (Nobel de Physique, 1987), découvrent en 1986 le premier composé de la famille des cuprates (La,Ba)2 CuO4 . Celui-ci est supraconducteur bien au dessus de la limite de l’époque avec Tc ≈ 35 K : l’ère des supraconducteurs dits à “hautes Tc ” (SHTC) débuta. Peu de temps après, W. Chu et ses collaborateurs 3 synthétisèrent YBaCuO, le premier composé supraconducteur à la température de l’azote liquide sous pression atmosphérique (77 K) : cette ouverture à une cryogénie moins coûteuse marqua la reconsidération de la technologie supraconductrice. Depuis ces années, de nombreux matériaux et nouvelles familles de supraconducteurs non cuprates (MgB2 . . . ) ont été découverts, le record étant, en 2002, détenu par HgBa2 Ca2 Cu3 O8 avec Tc ∼ = 164 K (sous 30 GP a) 4. Et certains, dont je fais parti, pensent à une quatrième date : celle de la supraconductivité à température ambiante et la fin du seuil psychologique lié à l’émergence au quotidien de la supraconductivité. I.1.1 Ses généralités L’état supraconducteur est le résultat d’un “processus microscopique d’union” : deux porteurs de même charge électronique (électrons ou trous) s’appa- Les SHTC résistent rient pour former une nouvelle entité nommée “paire supraconductrice”. Ce aux modèles : la concept d’appariemment et ses mécanismes ont été théorisés, pour la première première observation fois, par les physiciens J. Bardeen, L.N. Cooper et J. Schrieffer (Nobel de Phy- expérimentale de la sique, 1972). Leur modèle microscopique 5 attribue la formation des paires à formation de paires une interaction entre les porteurs et le réseau cristallin (décrit par les pho- supraconductrices nons) et formalise l’expérience de pensée de Frölich 6 : un premier porteur dans les SHTC est polarise le réseau cristallin en déplaçant des ions qui eux même, compte tenu sans doute l’oeuvre de leur relaxation finie, attirent le porteur suivant. Tandis que la validité de de D. Esteve et de ce modèle est vérifiée expérimentalement dans les conventionels SBTC, celui- ses collaborateurs ci décrit mal les mécanismes impliqués dans la formation des paires dans les (1987, Europhys. Lett. SHTC. 11, 1237). Toutefois, Il existe une approche théorique et phénoménologique de la supraconductivité aucun travail théorique élaborée par V.L. Ginzburg et L.D. Landau (G-L). Elle conceptualise la tran- actuels n’explique de sition supraconductrice dans le cadre de la théorie générale des transitions manière “satisfaisante” de phase du second ordre établie antérieurement par L.D. Landau (Nobel de la nature et l’intensité Physique, 1962). L’état supraconducteur est défini par un condensat ordonné des interactions per2. J.G. Bednorz et K.A. Müller, 1986 Zeit. Phys. B 64 189 3. M.K. Wu, C.W. Chu et al., 1987 Phys. Rev. Let. 58 908 4. X. Gao et al., 1994 Phys. Rev. B. 50 4260 5. pour un résumé : M. Tinkham, 1996, Intro. to Super. editions McGraw-Hill 44-108 6. H. Fröhlich, 1950 Phys. Rev. 79 845 10 mettant le couplage des porteurs : polarons, plasmons...? de porteurs supraconducteurs auquel est associé un paramètre d’ordre macroscopique Ψ(r, t). Bien que cette approche fut originalement dérivée pour des températures proches de Tc , elle permet de décrire de manière qualitative et parfois quantitative les phénomènes observés sur une large gamme de températures 0 < T < Tc . En outre, elle est un “puissant outil” de prédiction et d’interprétation de leurs propriétés électromagnétiques alors que le modèle microscopique s’avère être trop complexe ou hors de son domaine de validité. Pour preuve, la grande majorité des résultats théoriques auxquels cette étude fait référence sont issus de la théorie G-L ; le parti est donc pris de présenter toutes les grandeurs physiques sous leur formulation G-L. Le physicien L.P. Gorkov 7 a démontré que l’abord phénoménologique de Ginzburg-Landau équivaut à la théorie microscopique BCS proche de la température Tc . Ces deux théories mettent aussi en exergue deux longueurs caractérisant la Physique de la supraconductivité : ⊲ la longueur de pénétration du flux magnétique, dite longueur de London λ, qui définit la longueur sur laquelle l’induction magnétique peut varier dans un matériau supraconducteur. Sa valeur algébrique est comprise entre quelques dizaines et quelques centaines de nanomètres. ◮ Lorsque l’une des dimensions d’un matériau est inférieure ou de l’ordre de 2λ, les propriétés supraconductrices deviennent bidimensionnelles : ce sont les couches minces supraconductrices. ⊲ la longueur de cohérence ξ, qui représente la dimension spatiale d’une paire supraconductrice, c’est-à-dire la longueur minimale sur laquelle la supraconductivité, et donc Ψ(r, t), peuvent varier jusqu’à disparaı̂tre. Les paires ont des dimensions réduites dans les SHTC, où ξ est comparable aux grandeurs caractéristiques du réseau cristallin (quelques nanomètres), alors qu’elles peuvent atteindre quelques centaines de nanomètres dans les SBTC. La dépendance en température des longueurs λ et ξ sont similaires, et leurs valeurs à température nulle λ(T = 0) et ξ(T = 0) sont corrélées aux propriétés électroniques des matériaux : λG−L (t) = λG−L (T = 0) √ 1−t et ξ G−L (t) = ξ G−L (T = 0) √ 1−t avec t = T Tc Les grandeurs λ(t) et ξ(t) divergent pour des températures proches de la température critique Tc . Cette divergence relate l’affaiblissement de l’interaction d’appariemment face à l’agitation thermique, et conduit à la transition de l’état supraconducteur vers l’état normal (transition S/N). D’autre part, elles permettent d’exprimer les grandeurs critiques qui délimitent le domaine d’existence de l’état supraconducteur sous l’effet d’un champ magnétique extérieur. 7. L.P. Gorkov, 1959 Sov. Phys. JETP 9 1364 11 La variété des comportements d’un matériau supraconducteur soumis à un − → − → champ magnétique extérieur Ba = µ0 .Ha se résume ainsi : ⊲ l’effet Meissner-Ochsenfeld: en dessous d’une induction critique Hc1(t), le champ magnétique pénètre un matériau sur une couche superficielle d’épaisseur λ(t) où circulent des courants d’écrantages supraconducteurs. L’intérieur du matériau est dans un état de diamagnétisme parfait. Dans le cas où le quotient κ = λξ est très supérieur à 1, le champ critique Hc1 (t) s’exprime sous la forme : Φ0 [ln(κ) + α], Hc1 (t) = 4πλ(t)2 avec Φ0 = 2, 07.10−15 T.m2 et α représentant la part associée à l’énergie de condensation dans le coeur d’un vortex. −→ ◮ Dans une couche mince soumise à un champ Ba⊥ perpendiculaire à la surface, l’écrantage se réalise sur une distance transversale 8 λ⊥ plus grande que la longueur classique λ d’un système “massif” : λ⊥ ∼ = λ2 /e, avec e l’épaisseur du film. A plus haut champ magnétique, l’état supraconducteur est détruit et le − → champ Ba pénètre totalement les matériaux dits de type I vérifiant la condi√ tion κ < 1/ 2. Dans le cas contraire, les supraconducteurs sont dits de type − → II et le champ magnétique Ba pénètre de façon partielle : ⊲ l’état mixte : le champ magnétique pénètre le matériau sous forme de tubes, contenant un quantum de flux Φ0 , qui sont écrantés par des courants supraconducteurs. Cette phase disparaı̂t lorsque le matériau est rempli dans tout son volume par les tubes de flux, ce qui défini un second champ critique Hc2 (t) : Φ0 Φ0 Hc2(t) = = (1 − t) 2 2π.ξ (t) 2π.ξ 2(0) La supraconductivité peut ensuite persister à la surface d’un échantillon pour un champ Ha > Hc2 sous la forme d’une : − → ⊲ supraconductivité de surface : quand un champ Bak est appliqué parallèlement à la surface d’un matériau, un état supraconducteur persiste à cette surface jusqu’à une induction critique Hc3 (t) 9 où la supraconductivité est totalement détruite. Cette phase sera détaillée à la fin de cette partie. ◮ Cette phase particulière est souvent méconnue ou négligée par certains physiciens de la supraconductivité alors qu’elle pourrait se révéler prépondérante dans une couche mince qui est par définition un système physique “où tout est surface”. 8. J. Pearl, 1964 Appl. Phys. Let. 5 65 9. D. Saint James et P.G. de Gennes, 1963 Phys. Let. 7 306 12 a,b c µ0 Hc1 (0) 22.10−3 T µ0 Hc1 (0) 63.10−3 T λa,b (0) 82nm a,b c µ0 Hc2 (0) 14,5T µ0 Hc2 (0) 3,18T λc (0) 370nm ξa,b (0) 10,2nm ξc (0) 2,3nm Tc (0) 38K Tab. I.1 – Paramètres critiques déduit de mesures magnétiques dans des cristaux de M gB2 Comme illustration des paramètres critiques énoncés, le tableau I.1 ci dessus reporte les propriétés supraconductrices de l’état mixte de cristaux de MgB2 . Ces résultats 10 sont issus de mesures magnétiques corrélées à la théorie G-L et sont exemplaires de par la grande réversibilité des propriétés magnétiques de ces cristaux et l’excellent accord entre les relations de G-L et les mesures. La dernière limite à la supraconductivité est la densité de courant de transport critique Jc (T, H) au delà de laquelle l’état supraconducteur devient dissipatif ou disparaı̂t. Il existe une valeur intrinsèque maximale de Jc (t, H) où les paires supraconductrices sont “cassées”, c’est le courant de désappariemment Jdep (T )11 . Toutefois, cette densité Jdep représente la capacité microscopique maximale à transporter localement du courant et n’est que rarement atteinte à l’échelle macroscopique d’un matériau réel où une dissipation liée à des phénomènes magnéto-thermiques apparaı̂t pour des niveaux de courants bien inférieurs : Jc << Jdep ◮ Son expression pour une couche mince 12 est Jdep (t, H = 0) = µ 3√3πΦ2 λ0 2 (t)ξ(t) . 0 Pour une couche mince d’Y BaCuO (avec ξ(77K) = 1, 5nm et λ(77K) = 150nm) la densité de courant Jdep à 77 K est de l’ordre de 9.1011 A/cm2 . La finalité de la majorité des recherches sur la supraconductivité est de comprendre, de contrôler et souvent de repousser ces limites Tc , Hc et Jc I.1.2 Des nanotourbillons d’électricité : les vortex Les supraconducteurs de type II sont les matériaux les plus étudiés, que ce soit en physique fondamentale ou en physique appliquée. Cet intérêt est dû aux propriétés de leur état mixte qui induisent de forts paramètres critiques (Tc , Hc , Jc ). Ces matériaux représentent, de par le comportement des vortex, un système modèle pour beaucoup de domaines de la physique. 10. M. Zehetmayer et al., 2002 Phys. Rev. B 66 052505 11. communément nommé en anglais : “courant de depairing” 12. T.P. Orlando et K.A. Delin, 1991 Foundation of Appl. Super. editions AddisonWesley 13 a) description et diagramme de phase Le physicien A.A. Abrikosov 13 démontra analytiquement que le champ magnétique pénètre un matériau de type II sous la forme de “nanotourbillons d’électricité”, contenant chacun un même quantum de flux magnétique Φ0 . Par analogie avec d’autres systèmes physiques, ils sont nommés vortex et leur structure se schématise selon la figure I.1a. Ils se composent d’un coeur de rayon ξ(T ), s’assimilant à un cylindre à l’état normal 14 15 , autour duquel circulent des courants supraconducteurs d’écrantage sur une longueur λ(T ) (voir la FigureI.1a). Les coeurs sont composés de quasiparticules (électrons ou trous) dont la distribution énergétique est quantifiée selon celle de l’état normal. Ces excitations électroniques restent confinées dans le coeur tant que leur énergie n’excède pas le gap supraconducteur d’énergie ∆(T ). Au delà, elles peuvent quitter le coeur pour relaxer vers l’état supraconducteur qui est plus favorable énergétiquement. Ces phénomènes de dépeuplement du coeur des vortex sous l‘effet d’un champ électrique peuvent influencer considérablement les mécanismes de dissipation − → sous Ba , et sont étudiés dans le second chapitre de ce manuscrit. L’orientation et le sens de ces vortex sont globalement identiques à celle − → du champ magnétique appliqué Ba mais peut localement être modifiés pour des raisons énergétiques : la philosophie générale est qu’un vortex minimise son énergie en plaçant son coeur normal dans les zones les moins supraconductrices. Ceci est particulièrement effectif dans les matériaux anisotropes, comme les cuprates SHTC où la supraconductivité est généralement 16 attribuées aux plans CuO2. Dans ce type de composés, il est favorable aux lignes de flux de s’intercaler entre les plans CuO2, où la supraconductivité est affaiblie, pour former des vortex ellipsoidaux. Ainsi, lorsqu’un champ magnétique − → Ba est incliné par rapport à ces “plans supraconducteurs” (les plans cristallographiques (a,b) dans YBaCuO), il peut s’opérer un découplage 17 du vortex en une succession de vortex parallèles et perpendiculaires aux plans (cf Figure I.1b). Ces derniers forment des sortes de “crêpes de vortex” et sont nommés “vortex pancake”. Il existe même un angle critique 18 dit de “lock in” en deçà duquel les vortex se bloquent, sur toute leur longueur, parallélement aux plans CuO2 . Au même titre que leur direction, le sens des lignes de flux peut − → − → différer de celui de Ba . En effet, des “anti-vortex” dirigés en sens opposé à Ba peuvent coexister avec des vortex selon l’histoire magnétique du matériau ou sa géométrie : à ce propos le lecteur pourra se réferer aux études conduites 13. A.A. Abrikosov, 1957 Zh. Eksp. Teor. Fiz. 32 1442 14. C. Caroli, P.G. de Gennes, J. Marticon, 1964 Phys. Let. 9 307 15. J. Bardeen et al., 1969 Phys. Rev. 187 556 16. H.A. Blackstead et J.D. Dow, 2000 Solid Stat. Comm. 115 137 17. A. Tonomura et al., 2002 Phys. Rev. Let. 88 23 7001 18. D. Feinberg et C. Villard, 1990 Phys. Rev. Let. 65 7 919 14 H courants supraconducteurs paramètre d’ordre Ψ( t,r ) coeur du vortex a) b) vortex anti-vortex vortex c) Fig. I.1 – Description et observation de vortex. a) structure schématisée d’un vortex. b) images de vortex obtenues par microscopie de Lorentz dans un film cristallin d’YBaCuO pour un champ magnétique B oblique par rapport à la surface (T=30K, B=0,3mT) ; le cliché de gauche montre, pour un angle Θ = 75 ◦ , des vortex circulaires arrangés en un réseau triangulaire. pour Θ > 80 ◦ (photo de droite, Θ = 84◦ ), les vortex forment des chaı̂nes linéaires, tandis que l’élongation de leur image dans la direction des chaı̂nes est une signature de l’inclinaison des vortex. c) répartition des vortex dans un carré micrométrique soumis à un champ magnétique : il y a création d’un anti-vortex au centre du carré. sur des structures mésoscopiques (triangle, carré. . . ) supraconductrices 19 qui montrent que des anti-vortex sont nucléés pour préserver la symétrie des systèmes (cf. figure I.1c). Enfin, une ligne de flux posséde également deux caractéristiques, souvent omises, qui sont sa charge 20 et sa masse 21 . −→ ◮ Dans une couche mince soumise à un champ Ba⊥ , les vortex ont une étendue spatiale quasi bi-dimensionnelle : ce sont des vortex 2D de longueur longitudinale négligeable. Un autre élément clé est le comportement collectif des lignes de flux. En effet, les vortex ne sont généralement pas isolés dans un supraconducteur mais coexistent mutuellement à la manière des atomes constituant un matériau. Ils définissent ainsi une seconde forme de matière, “la matière vortex”22 , avec ses propres propriétés : pas du réseau, chaleur spécifique, température de fusion, 19. L.F. Chibatoru et al., 2000 Nature 408 833 20. T.M. Mishonov, 2000 Proceedings-of-the-SPIE-The-International-Society-forOptical-Engineering 4058 97 21. N.B. Kopnin, 1998 Phys. Rev. B 57 11775 22. traduction littérale de l’expression anglaise, vortex matter 15 Fig. I.2 – Quelques phases du réseau de vortex dans le composé Bi 2 Sr2 CaCu2O8 . Le graphique supérieur présente une partie de son diagramme de phase, et, les clichés magnéto-optique (images inférieures) montrent l’évolution de la fusion du réseau de vortex pour T=70K et Ba compris entre 8,9mT et 9,8mT : les zones sombres représentent les “portions” liquides du réseau de vortex. 16 de vaporisation. . . Sa densité surfacique nv se détermine macroscopiquement par la condition de conservation du flux magnétique : Ba = nv × Φ0 ; ce qui représente pour un champ Ba de 10 mT 23 , une densité de l’ordre de 5 millions de vortex par millimètre carré. Leur arrangement s’effectue dans un matériau idéal, isotrope et sans défaut, selon un réseau régulier à base triangulaire. Mais ce cristal de vortex peut prendre dans les matériaux réels (présence de défauts, anisotropie. . . ) une variété d’autres formes à l’instar de la Matière : chaı̂nes de vortex 24 (figure I.1b), liquide de vortex 25 (figure I.2), verre de Bragg 26 . . . Il est donc naturel de considérer une assemblée de vortex comme un système élastique qui sera entièrement ordonné dans le cas d’un supraconducteur cristallin “parfait”. De plus, comme tout système élastique, “la matière vortex” se comprime (faiblement), se cisaille et s’incline, et présente l’avantage d’être facilement modifiable : on contrôle le réseau en changeant la température et le champ magnétique”. Le réseau de vortex représente donc un système élastique modèle dont le comportement peut s’extrapoler à des domaines aussi variés que la cosmologie ou la cosmétique (le “jet” d’un aérosol...). Cet aspect n’est cependant pas l’origine unique du grand nombre d’études menées à leur sujet. En effet, une autre caractéristique fondamentale des vortex est la corrélation entre leur mouvement et la dissipation dans les supraconducteurs ; en comprenant le comportement des lignes de flux dans l’état mixte d’un matériau donné, il est donc envisageable de contrôler et d’améliorer les propriétés conductrices des supraconducteurs telle que Jc . b) leur mouvement est dissipatif La problématique de la dissipation dans les supraconducteurs est au centre des recherches exposées dans ce manuscrit et est relativement simple dans son approche : lorsqu’un vortex bouge dans un supraconducteur, la résistance électrique de ce dernier n’est plus nulle et est d’autant plus élevée que le mouvement de la ligne de flux est rapide. Cette corrélation entre le mouvement d’un vortex et la dissipation est décrite microscopiquement par M. Tinkham 27 comme résultante d’une différence entre le temps de désappariement des paires supraconductrices et le temps de recombinaison des quasiparticules : le coeur d’un vortex avance en cassant des paires de Cooper en aval, mouvement auquel est associé un coût énergétique, et en abandonnant des quasiparticules en amont pour restituer 23. hypothèse : le champ n’est pas modifié par des effets géometriques B = Ba 24. A. Grigorenko et al., 2001 Nature 414 728 25. E. Zeldov et al., 1995 Nature 375 373 et A. Soibel, 2000 Nature 406 282 26. T. Klein et al., 2001 Nature 413 404 27. M. Tinkham, 1996 Intro. to Super., Mc Graw Hill int. editions 17 vide / isolant matériau supraconducteur Ba Fi Fi vortex vortex image a) b) Fr courants d’écrantages courants supraconducteurs de surface Fig. I.3 – La Figure a) expose l’accomodation d’un vortex pour placer son coeur sur les défauts présents dans un matériau et l’énergie du potentiel de piégeage volumique V (x) qui est associé. La Figure b) schématise les différentes interactions agissant près d’une surface. La force Fi et Fr sont respectivement les forces de Lorentz due au vortex image et celle due aux courants supraconducteurs de surface. de l’énergie au système. Ces quasiparticules se recombinent en paires plus lentement qu’elles ne se désapparient, conduisant ainsi à un excès hors équilibre de quasiparticules suceptible de fournir une dissipation en présence d’un courant. Ainsi le coeur d’un vortex se déplace, non pas physiquement, mais par reconstruction, en laissant une traı̂née de quasiparticules à l’origine d’une conductivité finie. La dynamique des vortex résulte d’une compétition complexe entre des forces de mise en mouvement et des forces d’immobilisation qui sont généralement inter-dépendantes. Différentes sources de piégeages ont la capacité de figer les vortex dans une position : – la plus évoquée d’entre elles est le piégeage volumique qui correspond à un ancrage des vortex dans des zones de défauts, répartis dans le volume d’un matériau(voir la Figure I.3a), où le paramètre d’ordre Ψ(r, t) est affaibli. Ces centres d’ancrage sont d’autant plus efficaces que les défauts ont une dimension proche des grandeurs caractéristiques λ(T ) et ξ(T ). Lorsque ces défauts sont tels que les lignes de flux peuvent abaisser leur énergie sur une proportion importante de leur longueur, l’ancrage est dit “fort”. Ce type de piégeage n’est efficace que si le réseau de vortex est suffisamment “déformable” pour s’adapter aux défauts locaux, et cependant assez rigide pour immobliser les portions “libres” entre deux défauts voisins. Son domaine d’efficacité reste donc limité à la présence de défauts particuliers (structure intrinsèque, plans de macles...) et à des régions limitées du diagramme de phase (H, T ) autour des champs faibles. Au contraire, pour des défauts “faiblement” piégeants mais régulièrement disséminés dans la structure, le réseau est ancré de manière globale. C’est le modèle d’ancrage collectif 18 la description historique : la dissipation liée au mouvement d’un vortex se détermine également aisément en recalculant à l’aide de la première équation de London (E(r) = ∂[µ0 λ2 J(r)]/∂t) le champ électrique E à l’extérieur d’un vortex en mouvement. Il est trouvé que le champ E est dipolaire et que ses lignes de champ traversent le coeur perpendiculairement au mouvement, créant ainsi une dissipation. développé par A.I. Larkin et Yu. M. Ovchinnikov 28 . Il introduit la notion de “volume corrélé” à l’intérieur duquel le réseau de vortex est ordonné. Plus il est faible, et plus l’ancrage est efficace. Dans les couches minces, les principales sources de piégeages actives sont les imperfections dues au mode de croissance des couches minces telles que les dislocations 29 , et les phases parasites (joints de grain, impuretés. . . ). La structure supraconductrice des films peut être également une source importante d’ancrage comme le piégeage intrinsèque des vortex par les feuillets “normaux” dans les cuprates SHTC, ou par exemple les plans de macles dans YBaCuO 30 . – les contours d’un matériau supraconducteur forment une barrière de surface qui peut aussi influencer la dynamique des vortex. Cet effet de bord résulte de la redistribution des courants d’écrantages des vortex aux surfaces pour satisfaire la condition limite d’aucun courant normal à la surface. Cette distorsion des courants s’accompagne d’une barrière de surface qui retarde l’entrée ou la sortie des vortex. Les physiciens C.P. Bean et J.D. Livingston 31 considérèrent les premiers ce phénomène et calculèrent son énergie en introduisant le concept de vortex image comme illustré en Figure I.3b. Un vortex au bord d’un échantillon est soumis à deux forces distinctes : une → − force image Fi due à un anti-vortex image situé de l’autre coté du bord, − → qui l’attire vers l’extérieur, et une force répulsive Fr résultant des courants supraconducteurs de surface qui l’éloigne du bord. L’entrée des vortex dans un supraconducteur peut donc être retardée jusqu’à un champ magnétique Hp bien supérieur à Hc1 dans le cas de surfaces homogènes et planes. Plus la surface d’un échantillon sera plane et parfaite et plus les effets seront importants. Pour les couches dont l’épaisseur est plus importante que deux fois la longueur de pénétration, il existe une autre barrière de surface, dite géométrique, correspondant à l’entrée de segments de vortex inclinés aux coins 32 de l’échantillon. Quand ces segments de vortex croı̂ssent et tentent de pénétrer dans le supraconducteur, leur longueur augmente et conduit à une barrière énergétique contre l’entrée des vortex. Ces effets seront repris en préface de l’étude présentée au second chapitre sur l’influence de géometries originales de bords sur le courant critique Ic . – une autre forme importante de piégeage est l’ancrage de surface qui se fonde sur l’idée que les vortex doivent se courber33 pour se raccorder aux rugosités de surface aléatoirement réparties et ainsi satisfaire à la condition − −ǫ = 0 (→ − d’orthogonalité → n ×→ n , le vecteur unitraire normal à la surface → − et ǫ l’orientation d’une ligne de flux). Lorsqu’un courant de transport ma28. A.I. Larkin et Yu. M. Ovchinnikov, 1979 Jnl. Low. Temp. Phys. 34 409 29. dans les films d’YBaCuO, elles sont générées par une croissance en spirales : C. Gerber et al., 1991 Nature 350 279 et V.M. Pan et al., 1993 Cryogenics 33 21 30. pour une étude détaillée : S. Sanfilippo, 1997 thèse Université Grenoble I - Joseph Fourier 31. C.P. Bean et J.D. Livingston, 1964 Phys. Rev. Let. 12 14 32. E.H. Brandt, 1999 Phys. Rev. B 59 3369 33. P. Mathieu et Y. Simon, 1988 Europhys. Let. 5 67 19 croscopique It traverse le supraconducteur, la courbure des lignes de flux se polarise dans une même direction et peuvent compenser sans dissipation le courant It . Dans ce modèle, le courant It ne circule que superficiellement sur une longueur d’écrantage surfacique λs . Le courant critique Ic se détermine entièrement par la capacité maximale du réseau de vortex à s’incurver à la surface jusqu’à un angle critique αcr qui défini ainsi une force de piégeage de surface Fpsur . Cette conception du piégeage des vortex est assez peu considérée par la communauté scientifique internationale alors que plusieurs recherches mettent en valeur son importance fondamentale. Le traitement de ces forces de piégeages se résume usuellement à considérer les vortex comme ancrés dans des puits de potentiel. Pour s’en échapper et se mettre en mouvement, les lignes de flux peuvent être soumises à deux types d’ énergie. La première d’entre elles est l’énergie thermique, présente à toute température non nulle, qui affaiblit les potentiels de piégeage. L’autre énergie est celle due à la force FI exercée sur un champ magnétique par un courant de transport It ou aux courants supraconducteurs d’écrantage. Elle est de sens opposé à la force de Lorentz FL et s’applique sur chaque vortex. Son expression est : − → − → → − − → FI = −FL = − Js × Φ0 , (I.1) avec Js la densité de courant supraconducteur. Pour une densité de courant J > Jc , les lignes de flux se déplacent orthogonalement au courant ( voir Figure I.4 a ) selon une vitesse vv qui est directement reliée à la dissipation par la relation de Josephson 34 : → − − → − E = −→ vv × Ba , avec Ba = nv .Φ0 (I.2) Dans une configuration isotherme et dans l’état mixte, la mesure d’une tension permet donc de déduire directement la vitesse moyenne des vortex en mouvement. Selon le rapport relatif des forces de piégeage et de dépiégeage, une pléiade de modes dissipatifs, dont les formulations théoriques sont encore débattues, se rencontrent. Il ne sera ici cité que les régimes les plus couramment observés. Lorsque It est de l’ordre de Ic (It > Ic ), il est prédit par P.W. Anderson et Y.B. Kim 35 que les vortex sautent entre deux positions adjacentes dans un régime de “flux creep”. A cause des interactions entre vortex, les sauts s’effectuent, de manière collective, par paquets de lignes de flux. La taille de ces paquets de vortex a été mesurée dans des films de niobium 36 et varie de 3, 4µm à 4, 5K à 1, 6µm pour 6, 5K. A faibles niveaux de courant, les sauts sont controlés par l’agitation thermique et la dissipation se caractérise par une résistivité constante ρT AF F (figure I.4b) : c’est un régime d’écoulement de vortex thermiquement activé 37 (connu sous l’acronyme anglophone 34. B.D. Josephson et al., 1965 Phys. Lett. 16 242 35. P.W. Anderson et Y.B. Kim, 1964 Rev. Mod. Phys. 36 39 36. S.T. Stoddart et al., 1995 Super. Sci. Tech. 8 459 37. P.H. Kes et al., 1989 Super. Sci. Tech. 1 242 20 Fig. I.4 – La Figure a) montre le mouvement de vortex soumis à un courant de transport It . La Figure b) illustre les principaux modes de dissipation dans un diagramme E(J). La densité de courant critique J c est définie intrinsèquement par la force de Lorentz minimale permettant de contrebalancer le piégeage. Voir le texte pour la définition des différents régimes. TAFF). Quand les forces FI associées aux courants deviennent plus importantes, la résistivité ρf c n’est plus constante mais suit une loi exponentielle 38 : ρf c ≈ e(J/J0 −1)(U0 /kB T ) où U0 est l’énergie de piégeage, J0 est la densité de courant critique pour T = 0 K et kB est la constante de Boltzmann. Ce régime cède ensuite sa place, à des courants supérieurs pour lesquels l’ancrage n’est plus “efficace”, à un écoulement visqueux des lignes de flux décrit par une résistivité constante ρF F : c’est le régime de “flux flow” qui est l’objet d’une grande partie des recherches réalisées dans le cadre de cette thèse. Ce mode de dissipation sera traité au second chapitre. I.1.3 supraconductivité et piégeage de surface L’idée sous-jaçente aux effets de surface qui est débatue dans ce paragraphe est l’existence d’un courant critique non négligeable à la surface des supraconducteurs 39 , supérieur au courant critique de volume. Une telle hypothèse, si elle est vérifiée, apporterait une nouvelle approche des propriétés supraconductrices en suggérant que le courant critique serait d’autant plus important que les surfaces sont étendues, du fait de leur géométrie ou de leur rugosité. 38. développement limité de l’expression générale de “flux creep” pour I élevé 39. l’auteur remercie chaleureusement R. Tournier, A. Sulpice et D. Bourgault pour leur discussions privées qui sont à l’origine de ce paragraphe 21 a) cas de la supraconductivité de surface : Bien que l’existence d’une supraconductivité de surface soit reconnue depuis les années 1970, la question d’un courant critique Icsf c non nul dans cette phase reste ouverte. Après un bref état de l’art de la supraconductivité de surface, des éléments de réponse suggérant un courant critique Icsf c non négligeable sont exposés. Comme il est brièvement explicité au début de ce chapitre, D. Saint James et P.G. De Gennes ont montré qu’un état supraconducteur peut nucléer // à la surface pour un champ Ha compris entre Hc2 (T ) et Hc3 (T ). Vérifié expérimentalement dans les SBTC 40 puis dans les SHTC 41 , la supraconductivité de surface s’étend sur un domaine de champ magnétique Hc3/Hc2 qui varie selon la température et les rapports relatifs entre les grandeurs caractéristiques du système ξ(t), λ(t) et le libre parcours moyen à l’état normal lf ree . La variation de l’étendue de cette phase est résumée schématiquement sur la Figure I.5. A basse température (t . 0, 7 − 0, 8), le quotient Hc3 /Hc2 a une valeur constante de l’ordre de 1,695 pour un supraconducteur en limite sale 42 (lf ree < ξ(0)) alors qu’il est supérieur dans les systèmes propres 43 , 44 . A plus haute température (t & 0, 7−0, 8), le rapport Hc3/Hc2 augmente pour les matériaux “sales” mais diminue dans le cas contraire. Des travaux théoriques ont établis que ces phénomènes sont respectivement dus à un renforcement ou un affaiblissement43 du potentiel de formation des paires supraconductrices. En d’autres termes, la température critique de la couche superficielle Tcsf c diffère de celle du reste de l’échantillon Tcbulk (voir Figure I.5). Même si cet écart de température reste très faible (quelques mK), la modification associée du gap supraconducteur est beaucoup plus significative 45 (jusqu’à 20%) et pourrait ainsi influencer le courant critique. De plus, l’épaisseur de la couche dsf c sur laquelle persiste cette supraconductivité de surface est de l’ordre de quelques longueurs de cohérence ξ(0). Ce qui correspond, pour un matériau comme le niobium (ξ(0) ≈ 10 − 50 nm), à une épaisseur de plusieurs dizaines de nanomètres, mais reste faible pour les SHTC comme YBCO avec dsf c ≈ 1 − 10nm. Cette couche superficielle de supraconductivité pourrait également abriter un réseau de vortex comme le suggère les mesures d’Alexey Pan et de ses collaborateurs 46 dans des films de niobium. Cette observation évoque naturellement l’existence d’un courant critique Icsf c dans la phase supraconductrice au-dessus de Hc2 (T ). Cette hypothèse a d’ailleurs été confirmée dans les SBTC, il y a plus de 30 ans, par des mesures 40. G. Bon Mardion et al., 1964 Phys. Let. 8 15 41. O.F. De Lima et al., 1994 Physica C 194 1807 42. P.G. De Gennes, 1966 Super. of Metals and Alloys Benjamin-New York 43. C.R. Hu et V. Korenman, 1969 Phys. Rev. 178 684 et 185 672 44. J.R. Hopkins et D.K. Finnemore, 1974 Phys. Rev. B 9 108 45. T. Giamarchi et al., 1990 Phys. Rev. B 41 11 033 46. A. Pan et al., 1998 Physica C 301 72 22 Ic =? pour H>Hc2(T) 2 Ic =0 Tcbulk volume couche superficielle supraconductrice Hc3/Hc2 Tcsfc limite “propre” limite “sale” 1,69 qqsξ (T) 0,8 1t =T/Tc(bulk) Fig. I.5 – Propriétés de la supraconductivité de surface en transport 47 , 48 d’un courant critique non nul entre Hc2 (T ) et Hc3 (T ). Toutefois, cette vision s’oppose au raisonnement qui défini un champ magnétique d’irréversibilité 49 H ∗ (T ) < Hc2 (T ) pour lequel tout courant de transport dépiége les vortex (Ic = 0). Cette ligne d’irreversibilité H ∗ (T ) est alors déterminée comme l’apparition d’une aimantation magnétique réversible M(T, H) dans un supraconducteur. Est-ce que cette réversibilité s’accompagne d’un courant total Ic nul, ou est ce uniquement le piégeage de volume qui devient négligeable? Quelle est la réelle signification physique du champ H ∗ ? Ligne de dépiégeage, de champ critique ou autre? Au rang de ces nombreuses questions qui subsistent encore et des expériences parfois contradictoires, il est intéressant de citer les résultats expérimentaux de l’équipe de R. Tournier 50 . Ces derniers indiquent qu’un important courant critique persiste dans des monocristaux d’YBaCuO pour des champs Ha > H ∗ , où H ∗ est déduit de mesures DC d’aimantation. Sans apporter de nouveaux éléments de réponse dans cette thèse, l’auteur souhaite simplement soumettre l’idée que la définition du courant critique n’est pas aboutie et qu’elle est essentielle pour améliorer les performances des futurs matériaux fonctionnels notamment les matériaux multi-filamentaires ou en couches minces. L’hypothèse d’une supraconductivité de surface gouvernant le courant critique Ic modifierait par exemple la conception de câbles supraconducteurs pour le transport du courant en s’orientant vers des structures multicouches pour augmenter les surfaces. 47. S.Sh. Akhmedov et al., 1969 Sov. Phys. JETP 29 243 48. V.R. Karasik et al., 1972 Sov. Phys. JETP 35 945 49. K. Wanatabe, 1992 Jap. Jnl. Apply Phys. 31 1586 50. D. Bourgault et al., 1992 Physica C 194 171 23 n α Ba // n Js ligne de champ Ba vortex (ω) λs Ba = ω a) b) Fig. I.6 – Modèle de l’ancrage de surface. La Figure a) montre le raccordement d’un vortex à la surface d’un supraconducteur. Figure b) présente la dépendence du courant critique en fonction de l’épaisseur de couches d’Y BaCuO préparées sur un substrat monocristallin YSZ (ligne continue) et sur un substrat métallique souple (cercles). b) cas de l’ancrage de surface : Les bases pour comprendre le concept de piégeage de surface sont synthétiquement exposées à présent. Ce sont P. Mathieu et Y. Simon qui ont scellés les bases théoriques 51 d’un modèle d’ancrage de surface des vortex. Leur approche traite du comportement collectif des vortex en moyennant leur interaction et les différents paramètres supraconducteurs sur de grandes distances (>> λ). Ils recalculent ainsi les équations G-L et déduisent qu’il peut exister une différence entre les lignes de champ magnétique Ba et celle des vortex afin de compenser un courant moyen non nul. Les vortex s’incurvent à la surface d’un matériau pour profiter, en quelque sorte, de la rugosité de surface comme centre d’ancrage. Il est alors possible de transporter sans dissipation un courant macroscopique It tant que la courbure des vortex est inférieure à l’angle critique αcr (cf Figure I.6a). Le courant critique superficiel Ic se formule selon l’équation Ic = 2wǫsin(αcr ), où w est la largeur de l’échantillon et ǫ est la dimension d’une densité d’aimantation. Les travaux de B. Placais et de ses collaborateurs 52 ont vérifié que le courant Ic peut être totalement attribué à ce piégeage de surface. D’autres observations expérimentales semblent également confirmer la prédominance des effets de la surface sur le volume pour l’ancrage des vortex : l’une des plus marquantes est sans doute la décroissance de Jc avec l’épaisseur qui est observée dans des échantillons préparés de manière identique (un exemple est montré en Figure I.6b). De tels phénomènes ont été observés aussi bien dans les SBTC 53 que dans les 51. un intéressant résumé : A Pautrat, 2000 thèse Université de Caen 52. B. Placais et al., 1993 Phy. Rev. Let. 70 1521 53. R.G. Jones, E.H. Rhoderick et A.C. Rose-Innes, Phys. Let. 24A 318 24 SHTC 54 et indiqueraient que la surface détermine essentiellement l’ancrage. Toutefois, cette seule hypothèse est insuffisante pour démontrer le poids du piégeage de surface, car il est tout aussi plausible d’interpréter cette dépendance comme résultant d’une détérioration de la microstructure des couches supérieures55 . Cependant, la géométrie et le traitement de la surface des supraconducteurs modifie 56 , 57 beaucoup la densité de courant Jc et semblerait attester en faveur d’un effet de surface. Pour conclure, T. Hocquet et de ses collaborateurs 58 ont également mis en évidence que la dissipation juste au-dessus de Jc est localisée en surface et que le piégeage serait ainsi principalement dû aux surfaces. Bien que ces arguments plaident en faveur de l’importance des effets de surface, cette interprétation est encore peu répandue dans la communauté scientifique. C’est dans ce contexte que cette thèse apporte de nouvelles mesures de l’influence non négligeable des effets de surface sur les mécanismes de piégeage et de dissipation. I.2 Vers une technologie supraconductrice ? Mais que fait l’homme de ces propriétés de l’état supraconducteur, les exploitet’il, et dans quel but? Est ce que la technologie supraconductrice peut émerger? Dans combien de temps? Ces questions, l’auteur se les pose et y apporte des réponses personnelles dans cette section. Depuis longtemps, chercheurs et ingénieurs s’intéressent aux exceptionnelles propriétés des matériaux supraconducteurs et tentent de les maı̂triser pour concevoir des dispositifs beaucoup plus performants que ceux existants, ou mieux encore, pour créer de nouveaux systèmes 59 . L’une des applications les plus abouties actuellement de la supraconductivité est la génération de champs magnétiques, intenses et stables, pour l’Imagerie par Résonance Magnétique et la spectroscopie dans le domaine médical 60 . Effectivement, les propriétés de résistance électrique nulle, et donc la possibilité de courants permanents, sont depuis longtemps exploitées pour produire des champs magnétiques Ha de grandes valeurs et stables, qui seraient extrêmement difficiles à obtenir avec des bobines résistives conventionnelles ; à titre d’exemple, la génération d’une induction magnétique de 10 T avec une bobine de cuivre nécessite une puissance d’environ 2 mégawatts. Toutefois, les bobines supraconductrices sont actuellement réalisées avec des SBTC, ce qui limite les va54. S.R. Foltyn et al., 1993 Apl. Phys. Let 63 1848, et F.E. Lubrosty et al., 1988 Jnl. Apl. Phys. 64 6388 55. S.R. Foltyn et al., 1999 Apl. Phys. Let 75 3692 56. H.R. Hart et P.S. Schwartz, 1967 Phys. Rev. 156 403 57. A.D. Gupta et E.J. Kramer, 1972 Phil. Mag. 2 779 58. T. Hocquet et al., 1992 Phys. Rev. B 46 1069 59. http : //lanoswww.epf l.ch/studinf o/courses/cours supra/ 60. le marché en 2002 excède les 3 milliards d’euros 25 leurs des champs produits à une vingtaine de Teslas et nécessite une cryogénie coûteuse à l’hélium liquide. Ces inconvénients seront certainement résolus dans un futur plus ou moins proche par l’utilisation de matériaux SHTC de qualité. Les applications de telles bobines supraconductrices sont nombreuses et souvent innovantes : la fusion thermo-nucléaire qui est une source d’énergie bien supérieure à celle nucléaire, les canons électromagnétiques, les accélérateurs de particules, les systèmes MHD de propulsion de bateaux 61 . . . Parmi d’autres applications, la faisabilité de systèmes de stockage de l’énergie électrique sous forme d’énergie magnétique (acronyme anglais SMES, Superconducting Magnetic Energy Storage) dans une bobine supraconductrice a été largement vérifiée dans les SBTC. Leur commercialisation est conditionnée à l’emploi de SHTC pour améliorer leur performances et diminuer le coût cryogénique. De tels systèmes SMES seront très bénéfiques pour le secteur de l’énergie électrique en permettant de stocker et de restituer très rapidement une quantité d’énergie pour compenser par exemple une coupure de courant de faible durée. Pour continuer sur l’exploitation de cet état de conductivité “parfaite”, il est cité également les nombreuses perspectives des supraconducteurs dans le domaine électrotechnique : transformateurs, moteurs, câbles basses et hautes puissances, “super-fusibles” permanents (cette application est l’une des motivations de cette thèse). . . Dans ce cadre, une intense activité concurrentielle de recherches est actuellement menée au niveau international pour élaborer, par des procédés industrialisables, des matériaux SHTC homogènes avec de hauts paramètres critiques. Le succès de ces recherches est certainement à présent la condition majeure de l’émergence de la technologie supraconductrice. Il est aussi envisagé d’exploiter les propriétés de diamagnétisme et de piégeage des vortex dans les supraconducteurs pour faire léviter un objet lourd grâce à la force répulsive stable entre un aimant et un supraconducteur. Ce concept est celui de la lévitation magnétique 62 qui est souvent exposée comme vitrine des applications supraconductrices auprès du grand public. Les idées d’utilisation de cette dernière sont souvent à la fois merveilleuses et réalistes (systèmes de transport, paliers magnétiques, téléscope lunaire 63 . . . ), comme l’illustre le prototype de train de technologie MagLev, utilisant des supraconducteurs à hautes températures critiques (YBaCuO), en construction en R.P. de Chine (Chengdu, province du Sichuan). En attendant, les supraconducteurs ont permis de produire des champs magnétiques suffisamment intenses pour faire fonctionner un train (cf figure I.7), mis en place au Japon 64 sur une ligne de 42, 8 km, atteignant un record de vitesse à 548 km/h, le tout “sans toucher le sol”. Dans ce panorama des applications, les supraconducteurs sont aussi très 61. P. Tixador, 1995 Les supraconducteurs édition Hermes (coll. Matériaux) 62. pour un résumé : T.A. Coombs, 1998 Handbook of Applied Superconductivity IoP 1441-1460 63. P.C. Chen et al., 1992 Proc. TCSUH Workshop (World Scientific) 513 64. http : //www.rtri.or.jp/rd/maglev/html/english/maglev f rame E.html 26 Fig. I.7 – Une photo du train Maglev MLX01. prometteurs dans le secteur de l’électronique en général. A moyen terme, ils pourraient remplacer avec des performances exceptionnelles un grand nombre des dispositifs de la technologie semiconductrice 65 . Bien que les avancées restent encore, selon les appareils électroniques, au stade de recherches ou de prototypes, l’espoir demeure vif de multiplier par cent, mille ou plus la vitesse des ordinateurs, la capacité des mémoires ou encore de diviser par ces mêmes facteurs le bruit des amplificateurs et la consommation des convertisseurs A/N. Il ne sera pas ici détaillé la pléiade des composants remplaçants ou même sans équivalent actuels (portes logiques, transistors. . . ) qui sont étudiés dans le cadre d’une électronique supraconductrice. Les dispositifs hyperfréquences (lignes de transmission, filtres, antennes émetricesréceptrices. . . ) sont aussi un domaine d’application prometteur pour les supraconducteurs qui présentent des résistances de surface qui peuvent être de plusieurs ordres de grandeurs inférieures à celles des matériaux usuels. Des filtres SHTC hyper-fréquences à bande passante étroite sont déjà commercialisés pour les radars et les télécommunications (en téléphonie mobile par exemple). Les supraconducteurs peuvent aussi servir de détecteurs de grande précision pour mesurer une température (les bolomètres), un flux magnétique (SQUID, Superconducting Quantum Interference Device), des excitations magnétiques ( spectrométre magnétique à écoulement de vortex66 ) ou tout autre grandeur physique associée à une modification d’un paramètre supraconducteur. Pour conclure sur cette énumération qui pourrait s’étendre bien plus largement vue l’imagination de l’homme (“internet supraconducteur”, ordinateur quantique. . . ), il est essentiel de s’interroger sur l’émergence de tous ces nouveaux outils. Elle est certainement corrélée à la conviction des acteurs scientifiques et économiques qui devront persévérer face aux défis de concevoir des 65. G.J. Gerritsma, 1998 Handbook of Applied Superconductivity IoP 1860-1874 66. ce système fut l’objet de la thèse de M. Pauly, 2001 Université Joseph Fourier (Grenoble I) à laquelle l’auteur a contribué dans l’étude du régime de flux flow 27 matériaux supraconducteurs et des systèmes cryogéniques à des prix raisonnables afin de dissiper la crainte humaine face “à l’inconnu”. Cette “peur” se dissipera peut être rapidement face aux exigences de la protection de l’environnement qui est l’un des défis de l’humanité au XXI em̀e et pour lequel les supraconducteurs sont une solution (réduction des pertes d’énergie, diminution du CO2 , transformateurs sans huile. . . ). Ce qui est certain, c’est que ce serait un véritable gachis de ne pas exploiter les propriétés merveilleuses de cet état de la matière. I.3 les conducteurs souples de seconde génération : l’espoir présent La faisabilité de la majorité des applications supraconductrices pour le secteur de l’industrie électrique est à présent prouvée. De nombreux prototypes ont été testés avec succès par des groupes de recherches souvent industriels, comme le montre l’impressionante panoplie du “département supraconductivité” de la société Toshiba 67 . La diffusion de ces appareils dépend maintenant de la fabrication de câbles supraconducteurs à des coûts “exploitables et concurrentiels”. Il s’étendent de 10 − 15 euros/kA.m dans le cadre d’une compétition avec le cuivre à 100 euros/kA.m dans le cas des applications supraconductrices originales et uniques. Les recherches ont donc pour but de développer des conducteurs supraconducteurs avec des valeurs élevées de courant critique Ic (H) à des températures où les pertes cryogéniques sont tolérables. Cette combinaison des propriétés de Jc et Tc nécessaires à l’émergence des applications supraconductrices est résumée 68 dans le tableau I.2 pour quelques secteurs. Application Limiteur courant câbles transport Moteur SMES de de Jc (A/cm2 champ (T) 104 − 105 0, 1 − 3 4 5 10 − 10 5 10 105 < 0, 2 4−5 5 − 10 H T (K) Ic (A) 20 − 77 103 − 104 65 − 77 20 − 77 20 − 77 100 500 ≈ 104 longueur de câbles (m) 102 rayon de courbure (m) 0, 1 10 − 100 3 2 10 − 100 3 0, 05 1 10 − 100 10 10 10 103 coût (euros/kA.m) Tab. I.2 – Consensus industriel sur les performances des câbles supraconducteurs nécessaires au développement de différentes applications. Les contraintes du couple performances/coût restreignent le choix des matériaux aux cuprates supraconducteurs et au diborure de magnésium MgB2 . Aussi, deux grandes mises en forme des conducteurs supraconducteurs sont imaginées. La première consiste à fabriquer des ruban multifilamentaires selon 67. http : //www.toshiba.co.jp 68. D. Larbalestier et al., 2001 Nature 414 368 28 le procédé de Poudre dans un Tube, plus connu sous le cigle anglophone PIT 69 (Power in Tube) (cf figureI.8). Ce procédé est relativement simple dans son principe et repose sur une texturation du matériau par voie mécanique et thermique. Plusieurs sociétés dans le monde (Nexans 70 , ASC 71 , Innova ST 72 . . . ) commercialisent des rubans multifilamentaires de composés à base de bismuth dans une matrice d’argent. La compagnie ASC a fabriqué une centaine de rubans de Bi2 Sr2 Ca2 Cu3 Ox de 100 mètres de long avec des densités Jc moyennes de 3, 6.104A/cm2 et construit une usine devant produire jusqu’à 20000 km de câbles par an. Toutefois, les performances actuelles de ces matériaux restent trop faibles pour une application à 77 K et ne sont envisagés que pour produire des champs magnétiques à des températures de l’ordre de 20 K. D’autre part, le recours à une indispensable et onéreuse matrice d’argent handicape fortement leur coût. Fig. I.8 – Structure schématisée d’un ruban multifilamentaire et d’un conducteur déposé. L’autre voie explorée est celle de conducteurs supraconducteurs souples dits de “seconde génération” (voir la Figure I.8) : ce sont des couches épaisses (de l’ordre de qqs µm) supraconductrices déposées sur des substrats souples. Elles sont communément nommées par l’expression anglophone “coated conductors”. Cette voie semble plus intéressante et accapare la majorité des investissements actuels dans le domaine des supraconducteurs avec d’importants programmes de recherches américains, chinois, européens et japonais. Dans ce contexte a débuté en 2000, le projet RUBIS (Rubans Innovants Supraconducteurs) financé par la région Rhône-Alpes. Ce projet de recherche avait pour objectif d’explorer de nouvelles voies d’élaboration de “coated conductors” et regroupait différents industriels et laboratoires dont le CRETA. Le travail de 69. P.F. Herman et al., 2000 Super. Sci. Tech. 13 477 70. http : //www.nexans.com 71. http : //www.amsuper.com 72. http : //www.innost.com/ 29 cette thèse s’est inscrit naturellement dans ce projet pour la caractérisation électrique des couches élaborées 73 . Même si les résultats obtenus, au moment de la rédaction de ce manuscript, sont encourageants, il reste de nombreux problèmes à résoudre avant de parvenir à un stade de pré-commercialisation. Afin de comprendre les enjeux et les progrès nécessaires, une présentation succinte de ces conducteurs est exposée ci dessous. Avant tout, il est important de bien comprendre que le développement de tels conducteurs supraconducteurs consiste à concevoir des matériaux nanostructurés stables sur des longueurs de quelques centaines de mètres : c’est donc un pari fantastique pour la science des matériaux. L’un des points clefs de l’élaboration d’un matériau supraconducteur avec de hauts paramètres critiques Tc et Jc est la qualité de sa texturation dont la désorientation des grains dans les plans (a, b) doit être inférieure à 5◦ : meilleure elle sera, et meilleur sera le matériau. Cette texturation est assez sensible et complexe à obtenir pour les conducteurs déposés et est l’une des difficultés majeures de leur préparation. Un “coated conductor” se compose de trois parties principales 74 ( cf. Figure I.8). Le premier élément est le substrat sur lequel repose la couche supraconductrice et qui détermine les propriétés mécaniques (contraintes, rayons de courbure...) des futurs câbles supraconducteurs et peut imposer la texture par “effet template” (empreinte). Il existe deux grandes classes de substrats selon qu’ils sont directement texturés ou non. La solution la plus prometteuse semble être la réalisation de substrats métalliques qui sont texturés mécaniquement (laminage et recuit) suivant la méthode RABiTS 75 (acronyme anglais de Rolling Assisted Biaxially Textured Substrates). Les éléments envisagés pour ces substrats sont principalement pour l’instant le nickel micro-allié ou non avec d’autres éléments (molybdène, tungstene. . . ), dans des épaisseurs de l’ordre de quelques dizaines de micromètres. Des substrats de plusieurs centaines de mètres ont déjà été produits par différents laboratoires avec des texturations suffisantes. L’autre voie est l’usage de substrats métalliques polycristallins, par exemple l’acier inox qui est peu coûteux, où la texturation est “acquise” par un dépôt assisté d’un bombardement ionique IBAD 76 (Ion Beam Assisted Deposition). Cette méthode permet d’obtenir des substrats très bien texturés et adaptés à la croissance de matériaux avec de hautes performances supraconductrices77 . Cependant, la technique IBAD est relativement chère, lente et difficilement extrapolable à l’échelle industrielle. Dans tous les cas, il est nécessaire de déposer entre le substrat et le supraconducteur une ou des couches tam73. l’auteur adresse ses vifs remerciements aux partenaires du projet RUBIS pour leur enrichissantes discussions scientifiques qui lui ont permi de mieux appréhender la complexité de l’élaboration des matériaux. 74. L’auteur remercie chaleureusement le Dr. Odier Philippe pour ses discussions et explications toujours précises et claires sur le “monde des coated conductors” 75. A. Goyal et al., 1996 Appl. Supercon. 4 403 76. Y. Iijima et K. Matsumoto, 2000 Super. Sci. Tech. 13 68 77. A. Usoskin et al., 2001 Super. Sci. Tech. 14 676 30 pons. Leur rôle est double, protéger la couche supraconductrice d’une contamination chimique par le substrat (oxydation. . . ) et accorder les paramètres de maille du substrat avec ceux du supraconducteur pour transmettre la texturation. Même si des résultats prometteurs incitent à l’optimisme, des améliorations sont encore nécessaires pour fabriquer, par des procédés “simples”, des couches tampons de qualité. A titre d’exemple, il est cité les excellents résultats obtenus au laboratoire de Cristallographie (CNRS-Grenoble) par l’équipe de Philippe Odier 78 qui a réussi à déposer par “spin-coating” sur des substrats de Nickel une unique couche tampon de CeO2 avec une texture aussi bonne que celle du substrat. Enfin, la dernière partie, qui est sans doute la plus délicate d’un “coated conductor”, est le film supraconducteur et son élaboration. Comme il est mentionné au début de ce paragraphe, les matériaux envisagés sont la famille des cuprates supraconducteurs 79 (HgBCO 80 , T lBCO 81 , 82 ,YBaCuO...) et MgB2 . Parmi ceux-ci, Y BaCuO est le plus étudié et montre d’excellentes propriétés de transport avec et sans champ magnétique. Les techniques de dépôts sont nombreuses et ne seront pas discutées dans ce manuscrit, il est simplement énuméré celles qui paraissent les plus pertinentes : le “dip coating” qui consiste à tremper le substrat dans une solution liquide composé de précurseurs adéquats, la “spray pyrolysis” 83 où un aérosol contenant les éléments constitutifs du matériau souhaité se condensent sur le substrat, ou encore le “spray coating” qui consiste à étaler un gel 84 qui deviendra supraconducteur après un recuit adapté. Ces procédés et bien d’autres nécessitent une étroite collaboration entre des physiciens des matériaux et des chimistes afin de trouver des solutions à cet ambitieux projet où des savons métalliques utilisés par les égyptiens pour sécher les peintures se voient être utilisés comme précurseurs. . . Bien que beaucoup annoncent une prochaine émergence des “coated conductors” et le démarrage à grande échelle de la supraconductivité 85 , il est important de constater que de tels conducteurs ne se résument pas à “mettre” un supraconducteur sur un ruban souple mais résultent pour l’instant d’une structure complexe. D’autre part, les densités de courant critique d’ingénierie (c’est-à-dire en considérant la section totale) dans ces conducteurs de seconde 78. S. Morlens et al., Mat. Sci. & Eng. B (soumis en avril 2003) 79. R.D. Blaugher et al., 2002 Physica C 382 72 80. D. De Barros, P. Odier, C. Peroz, F. Weiss, 2003 à être publié 81. S. Phok, Ph. Galez, J.-L. Jorda, C. Peroz, C. Villard, D. De-Barros et F. Weiss, IEEE transactions on Applied Superconductivity (ASC 2002) (en presse) 82. S. Phok, Ph. Galez, J.L. Jorda, E. Fayad, D. De-Barros, F. Weiss, C. Peroz, C. Villard. ESC proceeding volume 2003-8, Chemical Vapor Deposition XVI (CVD-VXI) et EUROCVD 14, editeurs : M. Allendorf, F. Maury and F. Teyssandier, p. 1547 83. P. Odier, F. Weiss, Z. Supardi, 2002 brevet n◦ FR0205217 84. de la même manière que les techniques de peinture pour l’industrie de l’automobile 85. les entretiens que l’auteur a pu avoir avec des responsables de sociétés impliquées dans le développement des “coated conductors” laissent entrevoir une réponse de la faisabilité dans les 4-5 prochaines années. 31 1.2 10 -5 par "spray pyrolysis" V (V) Jc (A/cm2 ) 106 105 par "spin coating" I 104 5 c (77K) = 5.10 A/cm 2 1000 6 10 -6 100 76 78 80 82 84 86 T (K) niveau de bruit I T = 77 K c 0 2 3 4 5 6 I (A) Fig. I.9 – Mesures de courant critique dans des conducteurs déposés par “spray pyrolysis” et “spin coating”. La figure centrale représente la transition vers l’état dissipatif de la couche préparée par “spin coating”. L’insert permet de comparer les valeurs de densités de courant critique J c obtenues par les deux méthodes. génération ne dépasse pas encore les valeurs des fils PIT 86 bien que leur potentiel soit très supérieur. Cette limitation est due à la forte dégradation du courant critique avec l’épaisseur des couches et devra impérativement être résolue. Une solution pourrait être le développement de structures en multicouches (S/couche tampon/S. . . ) sur des substrats bon marché qui pourraient être, comme l’illustre les impressionants résulats obtenus sur des films de MgB2 87 , en plastique. . . Pour finir ce premier chapitre, il est présenté en Figure I.9 un exemple des propriétés de transport mesurées, dans le cadre de cette thèse, sur des couches d’YBaCuO préparées par “spray pyrolysis”88 et par “spin coating” 89 sur des substrats respectifs de SrT iO3 et LaAlO3 . Il est a souligner que les échantillons présentés ici ont été préparés par deux approches originales et offrent des propriétés supraconductrices très prometteuses 90 . Les courants critiques en champ propre à 77 K atteignent des valeurs comprises entre 86. pour une bonne synthèse : A.P. Malozemoff et al., 2003 Physica C 386 424 87. P. Kus et al., 2002 Apl. Phys. Let. 81 2199 88. Z. Supardi, G. Delabouglise, C. Peroz, A. Sin, C. Villard, P. Odier, F. Weiss, 2003 Physica C 386 296 89. B. Zhao, H. Yao, K. Shi, Z. Han, Y. Xu, D. Shi, C. Peroz, C. Villard, S. Wang, L. Wang à être publié dans IEEE 90. pour obtenir plus d’informations sur leur méthode d’élaboration, le lecteur se référera aux articles cités. 32 0, 5 et 1 MA/cm2 . De plus, tous les test effectués révèlent que la transition vers l’état dissipatif est régie par une loi de puissance E ∝ J n assez lente (n ∈ [3, 7]) en comparaison avec celle observée dans les bicouches YBCO/Au déposées par co-évaporation (n ∈ [11, 20]) qui ont été étudiées dans cette thèse. Cette différence est certainement attribuable aux joints de grains et aux défauts qui conférent une distribution inhomogène de Jc dans ces couches épaisses. Une étroite corrélation entre l’état structural et les propriétés supraconductrices s’avère essentielle pour améliorer les performances de ces matériaux. A ce titre, il est projetté par D. Bourgault de développer, au sein du CRETA, un système magnéto-optique permettant de comprendre plus en détail les phénomènes de piégeage et de dissipation. 33 34 Chapitre II Dynamique des vortex dans des films minces de niobium “je reste fermement convaincu que toute forme de conscience est une maladie [...] qui vous dis qu’un homme normal ne devrait pas être un idiot-qu’en savez vous? Je suis d’autant plus convaincu de ce soupçon que si vous prenez par exemple l’antithèse de l’homme normal, c’est à dire l’homme à la conscience accrue [...] il arrive à cet homme de s’aplatir si fort devant son antithèse qu’il se ressent lui même avec toute sa conscience accrue comme une souris et non plus comme un homme. Une souris à la conscience accrue, peut être, mais une souris, et là elle voit un homme, etc.” (Fédor DOSTOIEVSKI) Une partie importante des recherches menées dans le cadre de cette thèse est consacrée à l’étude de la dynamique des vortex et aux effets sur celle-ci des conditions de raccordement des vortex à la surface. Avec pour support matériel des films minces de niobium, ce chapitre s’attache à expliciter le comportement d’un réseau de vortex à grande vitesse et l’influence particulière de la surface sur son mouvement. Et comme la recherche scientifique mène souvent vers des questions imprévues, le rôle important de la géometrie des bords d’une couche mince supraconductrice sur la dynamique des vortex conclue cette étude expérimentale. 35 II.1 Dynamique des vortex à grande vitesse : brève synthèse Loin du seuil de dépiégeage caractérisé par la densité de courant critique J c , un réseau de vortex se meut sous la forme d’un écoulement visqueux de vortex nommé “flux flow” (FF). La compréhension de ce régime a une grande importance, autant d’un point de vue de la physique fondamentale que pour le développement d’applications. C’est le sujet de ce chapitre. Afin de bien comprendre les résultats expérimentaux obtenus et de les confronter avec les modèles théoriques, cette première partie jette les bases du régime de “flux flow” et présente le mécanisme “d’instabilité de flux flow” qui peut conduire à la fin des vortex et à un saut vers l’état normal. II.1.1 un écoulement visqueux de vortex : le modèle de “flux flow” La dynamique des vortex à faible vitesse, associée à un courant de transport proche de Jc , est un sujet abondamment traité dans la littérature et peut même être observé directement par diverses techniques optiques. Cela n’est plus le cas à plus haut courant (J >> Jc ) où les vortex s’écoulent selon un régime visqueux, caractérisé par des vitesses pouvant dépasser les 1000 m/s, ce qui interdit actuellement toute visualisation directe de leur mouvement. La première observation indirecte du “flux flow” a été raportée par Y.B. Kim et al. 1 dans des échantillons de l’alliage Nb/T a sous la forme d’une relation linéaire entre le champ électrique E et la densité de courant J. Ces auteurs interprétèrent phénoménologiquement cette linéarité comme résultante d’un déplacement d’ensemble et constant du réseau de vortex. Aussi, quand la force de Lorentz FL = J.Φ0 exercée par un courant J sur un vortex excède la force de piégeage Fp = Jc .Φ0 , un régime de dissipation par “saut de vortex” (flux creep) prend place. Pour des courants supérieurs, ce mouvement est remplacé par un écoulement visqueux stable décrit par l’équilibre des forces : − → − → − → FL = Fη + Fp soit J.Φ0 = η.vv + Jc .Φ0 (II.1) où vv est la vitesse moyenne des vortex et η(T, H, vv ) est le coefficient de viscosité 2 (par unité de surface) du milieu. En combinant ensuite cette relation avec la formule de Josephson (equation I.2), il est possible de définir la caractéristique (J,E) et la conductivité 1. Y.B. Kim, C.F. Hempstead et A.R. Strnad, 1964 Phys. Rev. Let. 13 794 2. J.L. Chen et T.J. Yang, 1994 Phys. Rev. B 50 319 36 différentielle de “flux flow” σF F : J = σF F .E+ < Jc > avec σF F = η(T, H, vv ) B.Φ0 (II.2) La mesure de la conductivité σF F renseigne ainsi sur la viscosité du milieu et les mécanismes en action lors du mouvement d’un vortex. Plus la viscosité est élevée et plus l’accélération des vortex dvv nécessite une force dFL dvv −1 importante (η ∝ ( dF ) ). La compréhension de la dynamique des vortex à L haute vitesse est donc intimement liée à celle du coefficient de viscosité η et de ses dépendances. Dans le plus simple modèle proposé d’abord par Kim et al., théorisé dans le cadre d’un modèle local par J. Bardeen et M.J. Stephen 3 , puis par P. Nozières et W.F. Vinen 4 , le coefficient η ne dépend pas de la vitesse des vortex vv . Et le coeur de chaque vortex est assimilé à un cylindre de rayon ξ(T ) à l’état normal de résistivté ρn . Le piégeage et l’interaction inter-vortex sont également négligés pour les calculs. Une fraction du volume du supraconducteur B/Bc2 (T ) est donc dans l’état normal. Quand le réseau est en mouvement, cette “fraction normale” est traversée par le courant de transport 5 et la dissipation se définit simplement selon la formule suivante à température nulle : Bc2 (0) η(0) = Φ0 Bc2 (0)σn soit σF F = σn , (II.3) B où σn est la conductivité à l’état normal. Cette expression n’est rigoureusement exacte qu’à température nulle 6 pour des matériaux en limite propre, c’est à dire pour lesquels lf ree > ξ (lf ree , le libre parcours moyen des électrons). Pour des températures finies et des champs Ba >> Bc1 , la relation II.3 est corrigée par W.S. Chow 7 et devient : Bc2 (0)[1 + ℑ(t)] γBc2 (0) σF F = − σn B Bc2 (t) (II.4) T avec γ une constante positive dépendant du matériau, t = Tc (B) et ℑ(t) < 0 représentant la contribution des effets thermiques associés au mouvement d’un vortex. Il a été en effet montré que le déplacement d’un vortex produit un gradient local de température 8 entre l’intérieur et l’extérieur de son coeur pouvant conduire à une dissipation supplémentaire. Cet effet n’est cependant présent que dans les matériaux en limite sale (en limite très propre lf ree >> ξ, ℑ(t) = 0) et la fonction ℑ(t) a alors un maximum ℑ(t)max ≃ 0, 3 pour t ≃ 0, 5. De plus, ces modèles décrivent un mouvement des vortex à η(t) = η(0)[1 − γ B + ℑ(t)] soit Bc2 (t) 3. J. Bardeen et M.J. Stephen, 1965 Phys. Rev. 140 1197 4. P. Nozières et W.F. Vinen, 1966 Philos. Mag 14 667 5. Y.B. Kim et M.J. Stephen, 1969 Superconductivity édité par R.D. Parks (Marcel Dekker, New York) 1107 6. W.S. Chow, 1969 Phys. Rev. 188 783 7. W.S. Chow, 1970 Phys. Rev. B 1 2130 8. J.R. Clem, 1968 Phys. Rev. Let. 20 735 37 faibles vitesses vv << ξ/τ où τ est le temps de vie hors équilibre des quasiparticules. Une autre analyse théorique menée par A.I. Larkin et Y.N. Ovchinnikov 9 a étendu la description du régime de “flux flow” en prenant en compte la distribution hors équilibre des quasiparticules durant l’écoulement des vortex. Ces auteurs ont calculé la variation de la conductivité σF F en fonction de la vitesse vv et des paramètres du supraconducteur dans toute la gamme de températures et de champs magnétiques. Les expressions trouvées sont assez complexes, et il est cité ici les deux relations simplifiées pour des températures t << 1 et à faibles vitesses où un régime linéaire est aussi prévu : Bc2 (0) B (II.5) ∆0 Bc2 (T ) ln( ), B kB T (II.6) – pour un système sale : σF F ≃ 0, 9σn – en limite propre : σF F ≃ 0, 23σn avec ∆0 la valeur du gap supraconducteur. A plus grandes vitesses vv , l’influence de la distribution hors équilibre des quasiparticules sur le mouvement des vortex n’est plus négligeable et peut induire une importante dépendance de la viscosité en fonction de la vitesse des vortex. Cette dépendance η(vv conduit à un emballement du régime de “flux flow” et à une brusque transition vers l’état normal. II.1.2 une instabilité de “flux flow” : la fin des vortex Dans l’un de leurs premiers travaux sur ce sujet 10 , les théoriciens A.I. Larkin et Y.N. Ovchinnikov9 (LO) ont prédi un comportement non linéaire de la conductivité électrique σ dans l’état mixte d’un supraconducteur pour des densités de courant J ∗ bien plus faibles que celles de désappariement Jdep . Ce régime se termine par un emballement de la transition à un champ électrique E ∗ associé à une vitesse critique des vortex vv∗ . En s’inspirant de la description proposée par R.P. Huebener et al.11 , le mécanisme de LO est ici énoncé de manière qualitative. Puis sont résumées et commentées les vérifications expérimentales de son existence reportées dans la littérature. 9. A.I. Larkin et Y.N. Ovchinnikov, 1986 Nonequilibrium Superconductivity édité par D.N. Langnberg et A.I. Larkin (Elseiver, New York) 493 10. A.I. Larkin et Y.N. Ovchinnikov, 1975 Zh. Eksp. Teor. Fiz. 68 1915 (1976 Sov. Phys. JETP 41 960) 11. W. Klein, R.P. Huebener, S. Gauss et J. Parisi, 1985 Jnl. Low. Tem. Phys. 61 413 38 a) interprétation qualitative du mécanisme d’instabilité de “flux flow” L’influence de la distribution hors équilibre des quasiparticules sur le déplacement des vortex est le point clé de la dynamique des vortex à grandes vitesses. Pour bien le comprendre, il est important de concevoir clairement la nature physique du coefficient de viscosité η(vv ). D’un point de vue microscopique, la viscosité traduit la différence de nature électronique entre le coeur du vortex contenant des charges normales et son environnement composé de paires supraconductrices. Plus cette différence est marquée et plus l’énergie nécessaire pour déplacer un vortex sera importante comme le suggère le modèle de Tinkham (cf. page 17). Par conséquent, le mouvement d’un vortex est d’autant plus aisé que la densité hors équilibre des quasiparticules qui l’entourent est élevée. Larkin et Ovchinnikov ont montré que cette densité ρqp pouvait être accrue durant le déplacement d’un vortex selon un mécanisme particulier : le mouvement des vortex induit une montée en énergie δE des “porteurs normaux” composant le coeur sous l’action conjointe de la force coulombienne Fe = q.Ev ( q = /e− / est la charge d’un électron) due au champ électrique Ev aux bornes du coeur et d’une réflexion d’Andreev 12 sur les parois du coeur (voir la Figure II.1). Fig. II.1 – Principe d’éjection des quasiparticules du coeur lors du mouvement d’un vortex. 12. mécanisme de réflexion d’un électron ~k à l’interface supraconducteur(S)/métal(N) donnant une paire de Cooper du côté S et un trou de vecteur −~k du côté N. 39 Lorsque l’énergie de ses porteurs atteint des états disponibles au dessus du gap supraconducteur ∆, les quasiparticules migrent hors du coeur et relaxent ensuite vers le condensat supraconducteur en une durée finie τin : cela crée une distribution hors équilibre de quasiparticules dans l’entourage des vortex. Cette réduction du nombre de charges normales nqp dans le vortex s’accompagne d’un rétrécissement du coeur des vortex avec ξ(vv ) ∝ η 1/2 (vv ) et d’une décroissance de la viscosité en fonction de la vitesse η(vv ) = η(vv = 0)[1− δE ]. ∆ Les caractéristiques E(J) s’écartent alors du régime linéaire de “flux flow” à η indépendant de vv , et la transition dissipative s’accélère. L’augmentation moyenne de l’énergie des quasiparticules δE est donnée par l’équilibre entre les processus qui augmentent et diminuent l’énergie des quasiparticules : J.Ev /nqp ≃ δE/τin , avec nqp le nombre de quasiparticules. En combinant cette relation avec l’expression de la densité de courant J = η(vv ).vv /Φ0 (hypothèse d’un piégeage faible) et la relation de Josephson E = vv .B, le coefficient de viscosité dynamique s’exprime sous la forme suivante (calcul de R.P. Huebener11 et al.) : η(vv ) = η(0) 1 + ( vvv∗ )2 avec vv∗ = ( v Φ0 nqp ∆(t) 1/2 ) η(0)Bτin (t) (II.7) L’expression est similaire à celle obtenue par LO dans un supraconducteur en “limite sale” dans le cas où T ≃ Tc et B << Bc2 (t) : s vF lf ree /3 ∗ vLO = 1, 02 (1 − t)1/4 , (II.8) τin (t) ∗ est avec vF la vitesse de Fermi. Il est important de noter que la vitesse vLO indépendante du champ magnétique et donc de la densité de vortex. La force de friction Fη (vv ) n’est donc plus une fonction monotone croissante de la vitesse et atteint une valeur maximale à la vitesse critique vv∗ (cf. Figure II.2). Pour des vitesses supérieures à vv∗ , un mécanisme d’emballement prend place et conduit à une brusque transition vers l’état normal : plus la vitesse augmente et plus Fη diminue, engendrant une augmentation de la vitesse et donc un nouvel affaiblissement de la force visqueuse. . . b) évolution et limitation de la théorie de LO Le mécanisme de LO a été développé pour des températures proches de Tc en considérant plusieurs hypothèses qui restreignent à priori son domaine de validité : + dans le calcul de LO, il est tout d’abord considéré que la distribution des quasiparticules est homogène autour du coeur des vortex et que leur durée de vie τin est petite en comparaison de leur temps d’interaction avec les 40 3 2 F = v /(1+(vv /v *) ) η v v 2,5 F η 2 1,5 1 0,5 v* v 0 0 5 v 10 15 v Fig. II.2 – Allure de la force de viscosité Fη = ηvv en fonction de la vitesse vv pour des paramètres arbitraires vv∗ = 5 et η(0) = 1. L’expression de Fη est déduite de la relation II.7 phonons : en d’autres termes, le modèle suppose une distribution homogène “d’électrons chauds” hors équilibre. + à cette condition s’ajoute naturellement le fait que les phonons doivent être en équilibre thermique avec la température du système définie à J = 0 et cela quel que soit le champ électrique généré. Cette condition semble irréaliste pour un matériau réel, puisque toute dissipation s’associe à un échauffement du matériau. Il est donc nécessaire de réduire au maximum cet échauffement par un fort couplage entre le supraconducteur et le milieu cryogénique, et en réduisant les puissances volumiques Joule (PJ = ρJ 2 ) mises en jeu. Les couches minces se prêtent bien à ces exigences avec de faibles sections couplées à de hauts coefficients d’échange thermique avec le substrat. + enfin, la théorie de LO néglige le piégeage des vortex et utilise quelques approximations de calculs qui amènent à considérer les paramètres déductibles comme représentatifs seulement des ordres de grandeur. Dans le cadre du modèle de LO, plus d’une vingtaine de travaux expérimentaux sont référencés dans la littérature. Ils s’attachent, par des mesures de transport dans des microponts de largeur w > λ⊥ , à comprendre et vérifier si un tel mécanisme intrinsèque à la dynamique des vortex est à l’origine du brusque saut vers l’état normal observé. Parmi ceux-ci, les deux expériences pionnières sont certainement celles de L.E. Musienko et al. 13 en 1980 et de S.G. Doettinger et al. 14 en 1994 qui reportent pour la première fois une instabilité de flux flow respectivement dans des films SBTC (Sn et Al) et SHTC 13. L.E. Musienko et al., 1980 Pis’ma. Zh. Eksp. Teor. Fiz. 31 603 (1980 JETP Let. 31 567) 14. S.G. Doettinger et al., 1994 Phys. Rev. Let. 73 1691 41 (Y BaCuO). Par ailleurs, il est intéressant d’observer que la majorité des études ont été menées sur des films SHTC afin de caractériser indirectement ces matériaux (σn(T ) 15 pour T < Tc , τin . . . ) et de contrôler la transition vers l’état normal en vue d’applications potentielles. Deux paramètres décrivent l’instabilité de “flux flow” : – la densité de courant J ∗ qui définit la force nécessaire à l’emballement du FF. Alors que le modèle de LO10 prédit que J ∗ est indépendant du champ Ba , les expériences montrent que J ∗ décroı̂t quand Ba croı̂t avec une dépendance qui peut être similaire 16 à celle de Jc . – l’autre paramètre physique caractéristique de la transition de LO est la vitesse critique vv∗ = E ∗ /B où E ∗ dépend de J − Jc . Cette dernière est directement reliée à l’homogéneité de la distribution hors équilibre des quasi−1 particules et à leur durée d’existence τin : plus le taux de recombinaison (τin ) est élevé et plus il est nécessaire d’éjecter des quasiparticules pour influencer la viscosité. La variation de vv∗ en fonction de la température et du champ magnétique permet alors de déterminer la valeur de τin et les mécanismes le régissant. Des études dans des films SBTC11, 17 ont relevé une diminution en (1−t)1/4 de la vitesse vv∗ correspondant à une faible dépendance de τin avec la température (cf. l’équation II.8) ; d’autres expériences sur des couches SHTC ont montré une importante augmentation de vv∗ avec la température soit une décroissance plus attendue de τin avec T . D’autre part, la vitesse des vortex à laquelle se produit l’instabilité ne dépend pas de la densité de vortex à partir du moment où les électrons sont réparties uniformément 18 dans le système, ce qui se traduit par vv∗ τin & dv avec dv la distance inter-vortex. Enfin, la vitesse critique vv∗ à laquelle se produit l’emballement semble indépendante du piégeage 19 mais est gouvernée par les propriétés électroniques à l’état normal 20 . Toutefois, l’échauffement du matériau durant le régime dissipatif précédant le saut vers l’état normal est généralement négligé alors qu’il peut modifier considérablement la nature de la transition. Ce point est clairement explicité par A.I. Bezuglyj et V. Shklovski 21 , 22 qui ont étendu le modèle de LO en tenant compte d’un taux fini d’évacuation de la chaleur inhérent à tout matériau réel. La température du système T ∗ au moment de l’instabilité est supérieure à celle du système au repos T0 . Ces auteurs déterminent de nou15. M.N. Kunchur, 2000 Physica C 341-348 1003 16. Z.L. Xiao et P. Ziemann, 1998 Phys. Rev. B 58 11 185 17. V.G. Volotskaya et al., 1992 Fiz. Nizk. Temp. 18 973 (1992 Sov. J. Low. Temp. Phys. 18 683) 18. S.G. Doettinger et al., 1995 Physica C 251 285 19. Z.L. Xiao et al., 1996 Jnl. Low. Temp. Phys. 105 5 20. P. Lahl et R. Wordenweber, 1997 Liste des publications conférence EUCAS 1 77 21. A.I. Bezuglyj et V. Shklovskij, 1992 Physica C 202 234 22. A.I. Bezuglyj et V. Shklovskij, 2000 Jnl. Low. Temp. Phys. 26 553 42 velles expressions pour les paramètres critiques E ∗ et la densité J ∗ : E∗ (1 − z)(3z + 1) = √ ∗ ELO 2 2z 3/4 (3z − 1)1/2 √ J∗ 2 2z 3/4 (3z − 1)1/2 = ∗ JLO 3z + 1 (II.9) (II.10) ∗ ∗ où ELO et JLO sont les paramètres critiques du modèle de LO : ∗ ELO = 1, 02(BT )(vF lf ree τin )1/2 (1 − t)1/4 (II.11) ∗ = 2.62(σn /e)(vF lf ree /3τin )−1/2 .kB Tc (1 − t)3/4 JLO (II.12) et z une variable sans dimension z = [1 + b + (b2 + 8b + 4)1/2 ]/[3(1 + 2b)] qui est fonction d’un champ magnétique réduit b = B/BT . Ce champ limite BT est relié au coefficient de transfert de chaleur h et relate l’importance de l’échauffement du matériau. Il s’exprime selon la relation suivante : 0.374.e.h.τin BT = , (II.13) kB .σn .d avec e la charge de l’électron, kB la constante de Boltzman et d l’épaisseur du film. En dessous de ce champ BT , les échauffements durant le régime de “flux flow” sont suffisamment faibles pour que le mécanisme d’instabilité de FF décrit par LO soit à l’origine du saut vers l’état normal. Au contraire, pour une densité de vortex bien supérieure B >> BT , l’instabilité de FF est principalement due à l’échauffement des quasiparticules qui s’accompagne d’une diminution de la conductivité. Les “effets thermiques” dominent la transition vers l’état normal et l’expression du champ électrique critique E ∗ devient indépendante de τin : pour b >> 1 : E ∗ = [ h.B.Tc Tc − T0 1/4 ]1/2 [ ] 2.02.σn .d.Hc2(0) 3Tc (II.14) L’autre élément clé à retenir de l’analyse de A.I. Bezuglyj et V. Shklovski est la prédiction d’une courbe universelle (J ∗ , E ∗ ) sur laquelle se retrouvent les coordonnées de l’instabilité E ∗ (B) et J ∗ (B) pour différentes températures T0 du bain selon la relation : E∗ J ∗ −1 = (1 − z).( ) ∗ ∗ ELO JLO (II.15) Cette relation a été vérifiée de manière convaincante pour des films de BiSrCaCuO 23 , 24 pour lesquels un régime linéaire de “flux flow” précédait 23. Z.L. Xiao et al., 1998 Phys. Rev. B 57 R736 et Z.L. Xiao et al., 1999 Phys. Rev. B 59 1481 24. G. Jakob et al., 2000 Physica B 284-288 897 43 un saut vers l’état normal. La transition peut donc être incontestablement attribuée à une instabilité de flux flow, avec par exemple un champ BT de l’ordre de 0, 4 T à 79 K. De tels résultats ont été aussi observés 25 (l’auteur a collaboré à cette étude) dans des films d’Y BaCuO à bas champ alors qu’aucun des travaux sur les films d’YBaCuO dans la littérature abordant ce sujet n’identifie un régime linéaire de “flux flow”. Ce dernier point engage certains physiciens à émettre l’hypothèse que l’instabilité de FF pourrait se produire à partir d’autres régimes de dissipation comme dans le cas par exemple un verre de vortex. II.2 Systèmes étudiés et dispositifs expérimentaux La méthodologie de l’étude expérimentale reportée dans ce chapitre est relativement simple. Elle consiste à explorer indirectement le comportement des vortex à faibles et grandes vitesses en mesurant leur réponse E(J). Avant d’exposer et discuter les résultats obtenus, le “support-matériau” choisi pour cette recherche et les dispositifs expérimentaux utilisés sont brièvement présentés. II.2.1 couches minces de niobium : un système modèle Afin de faciliter la compréhension des effets observés, la dynamique des vortex est étudiée dans des films minces de supraconducteurs SBTC conventionnels pour lesquels les propriétés supraconductrices sont bien connues. Le choix du matériau s’est alors naturellement porté sur le niobium qui, sous forme de films minces, est un supraconducteur de type II pour lequel le CRTBT possède une grande maı̂trise depuis de nombreuses années. Les couches supraconductrices sont déposées par évaporation sous un faisceau d’électrons dans un bâti ultra-vide (P < 10−7 mbar). Les dépôts sont réalisés sur des substrats monocristallins de saphir (Al2 O3 ) ou de silicium, soit à la température ambiante, soit à Tdepot ≃ 780◦ C. Le choix d’un substrat très bon conducteur thermique est un élément nécessaire à une étude du comportement non linéaire de la conductivité afin de minimiser au maximum l’échauffement durant la transition. La structure des échantillons préparés varie d’une simple couche de niobium à des multicouches (dépôts successifs in-situ) composées de films métalliques (Al ou Au) et de niobium avec des épaisseurs respectives de 20 et 100 nanomètres. Les vitesses de dépôts sont comprises entre 5 et 20 nm/s. Afin de préserver la surface du niobium d’une oxydation indésirable qui pourrait modifier les propriétés supraconductrices à la surface, les films sont protégés, si nécessaire, par une couche de silicium d’environ 5 nm d’épaisseur. 25. M. Pauly, 2001 thèse Université Joseph Fourier (Grenoble-I) p. 92 44 Cette dernière s’oxyde naturellement pour former un oxyde natif sur environ 3 nm, préservant ainsi le film SBTC. Fig. II.3 – Configuration typique de mesure “4 fils” : le pont a pour dimension 8, 5 µm de large et 800 µm de long entre les deux prises de tension. L’échantillon présenté est une tricouche Au/Nb/Au Une étape de photolithogravure permet ensuite de sculpter les échantillons sous la forme de “microponts” dans une géométrie de mesure “4 fils” (voir la figure II.3). La largeur w des ponts est comprise entre 6, 5 et 30 µm avec w > λ⊥ . Une photolithographie UV a servi à préparer les échantillons testés au début de ce travail de thèse. Puis elle a ensuite été remplacée par une photolithographie électronique à l’aide d’un Microscope Electronique à Balayage qui a permis de définir des motifs avec une plus grande précision. Enfin, les films sont gravés, selon les matériaux à enlever, soit par réaction ionique avec un plasma de SF6 soit à l’aide d’un faisceau d’ions argon (Ar 2+ ) à moyenne énergie (≈ 300eV ). Les caractéristiques des films testés seront précisées en préambule de chacun des résultats expérimentaux exposés par la suite. Il est à préciser que les propriétés de ces matériaux sont trés reproductibles, aussi bien pour des échantillons préparés de la même manière que pour des tests renouvelés plusieurs mois après une première campagne d’expériences. 45 II.2.2 dispositifs expérimentaux Toutes les expériences consistent à mesurer la caractéristique électrique (J, E) par une méthode classique en “4 fils” : un courant traverse un micropont de niobium entre ses extrémités et la tension en deux autres points est relevée comme l’illustre la photo II.3. Ce principe permet de ne pas inclure dans les mesures les résistances de contact et des fils. Le dispositif expérimental est constitué d’une canne de mesure 26 à l’intérieur de laquelle prend place un échantillon thermalisé sur un support en cuivre. L’ensemble est pompé jusqu’à un vide primaire et placé dans un cryostat d’hélium liquide à 4, 2 K contenant une bobine supraconductrice pouvant produire un champ magnétique Ba maximum de 4, 5 T . Par cryopompage, l’échantillon est alors sous ultra-vide. La température est mesurée à l’aide d’une résistance Cernox collée à proximité de l’échantillon et est régulée de manière très reproductible avec une stabilité de l’ordre du millikelvin à T = 10 K. Fig. II.4 – Schéma du dispositif expérimental pour les caractéristiques (J, E) à fort courant. La source de courant est pilotée en tension par la carte DAQ 6110E, et Rshunt = 100Ω permet de connaı̂tre le courant. Un amplificateur de tension bas bruit avec un gain 100 peut être ou non utilisé pour la mesure des tensions sur l’échantillon. Trois types de mesures sont exploitées : + les courbes de résistance en fonction de la température R(T ) qui permettent de déduire les paramètres des échantillons tels que la résistivité à l’état normal ρn et le champ critique Bc (T ) pour lequel la résistivité n’est plus nulle. Pour se faire, la tension est mesurée à l’aide d’une détection synchrone dans une configuration de type “pont”. Un courant de test alternatif 26. pour une description détaillée : J.M. Barbut, 1994 thèse Université Joseph Fourier (Grenoble-I) p. 143 46 de 33 Hz et d’intensité I < 1µA permet une résolution en résistance de l’ordre de 1 − 10 mΩ. + les mesures de transport (E, J) proche du seuil de dissipation à Jc . La méthode expérimentale est la suivante : une impulsion de courant d’une durée de 300 ms, produite par une source de précision Keitley 2400, est appliquée et la tension est enregistrée avec un voltmètre Keithley 2000 une milliseconde après le début du pulse. Deux impulsions de sens opposés séparées de 4 s sont successivement appliquées afin de supprimer les effets thermoélectriques et d’échauffement de l’échantillon. + les caractéristiques (J, E) à hauts courants (J >> Jc ) sont obtenues à partir de rampes rapides de courant avec des temps de montée variant de 10 à 100 µs. Le circuit expérimental utilisé a été conçu durant cette thèse et est représenté schématiquement sur la figure II.4. Il se compose d’une alimentation de courant en série avec l’échantillon à étudier, et un shunt résistif de précision permettant de déterminer le courant. L’ensemble des mesures sont recueillies à l’aide d’une carte d’acquisition DAQ 6110E contrôlée par un programme sous Labview. Un amplificateur de tension bas bruit de gain 100 peut être utilisé si nécessaire. II.3 Transition vers l’état normal ou la fin intrinsèque des vortex Dans cette partie, le mouvement du réseau de vortex à grande vitesse dans des films de niobium en limite propre et sale est présenté, pour la première fois 27 , dans le cadre d’un régime de “flux flow”. Un régime linéaire E ∝ J est observé et interprété comme un écoulement de vortex avec une viscosité constante. L’influence des propriétés du supraconducteur sur ce régime est ensuite discutée. A plus haute vitesse de vortex, la viscosité n’est plus constante et se termine par une brusque transition vers l’état normal. Cette dernière est attribuée à une instabilité de “flux flow” et permet de déterminer le temps de relaxation des quasiparticules τin . II.3.1 caractéristiques des échantillons Les films de niobium utilisés pour cette étude sont caractérisés par des mesures de résistance en fonction de la température R(T ) pour différentes valeurs du champ magnétique. Un exemple est montré dans la Figure II.5a. La relation linéaire entre le champ critique Bc et la température T est at27. C. Villard et C. Peroz, A. Sulpice, à paraı̂tre dans Jnl. of. Low. Temp. Phys. 47 tendue et permet de déduire pour chaque échantillon une valeur approchée de la longueur de cohérence ξ(T = 0) avec la relation : Hc2 (t) = 2π.µΦ0 .ξ0 2 (t) (cf. page 12). D’autre part, la décroissance de la température critique Tc observée en Figure II.5b lorsque la résistance à l’état normal (T = 9, 2K) du niobium augmente relate certainement l’effet du désordre 28 : plus le niobium est désordonné et plus le température Tc est faible. Les valeurs de ρ déterminées pour les échantillons les plus résistifs (préparés à température ambiante) sont similaires à celles relevées dans la littérature 29 et indiquent que les films sont en limite sale, alors que les films “chauds” (Tdepot ≃ 780◦ C) avec de faibles résistivités (ρ < 0, 8µΩ.cm) sont peu désordonnés et en limite propre. 9.2 15 B = 0mT 9.1 10 9 B (0)=4,43 c T (K) c 1000 500 5 8.9 8.8 c B (mT) ρ (µΩ.cm) a 0 a) 0 8.55 6.5 8.6 8.65 8.7 7 8.7 7.5 8 T (K) 8.75 8.5 9 8.8 8.6 b) 0 T (K) ρ 5 T=9,2K 10 (µΩ.cm) 15 Fig. II.5 – La figure a) montre un exemple de courbe R(T ) en champ propre dans un film de niobium préparé à température ambiante sur un substrat de silicum. En insert est reportée la variation linéaire du champ critique H c (T ) en fonction de la température. La Figure b) reporte l’évolution de la température critique en fonction de la résistivité à l’état normal (T = 9, 2K). Les résultats seront essentiellement présentés pour les deux films nommés “froid” et “chaud” ayant respectivement le plus faible et plus important quotient lf ree /ξ0,BCS de tous les échantillons testés. Le libre parcours moyen lf ree .m.vF est déterminé à partir de la relation classique pour un métal : lf ree = σnn.e 2 avec σn la conductivité à l’état normal, vF la vitesse de Fermi, e et m la charge (e = 1, 6.1019 C) et la masse (m = 9, 1.10−31 kg) de l’électron, et n la densité de porteurs. Les propriétés de ces deux échantillons sont résumées dans le tableau I.1 et montre que le film “froid” est dans la limite sale tandis que le niobium “chaud” est modérément “propre”. Il est également important de noter que les densités de courants critiques dans ces films sont généralement très élevées, dépassant souvent 1 MA/cm2 à T = 7 K. 28. C. Camerlingo et al., 1985 Phys. Rev. B 31 3121 29. M.S.M. Minhaj et al., 1994 Phys. Rev. B 49 15235 48 échantillon Nb froid Nb chaud Tc,H=0 (K) Hc (T) ρ9,2K (µΩ.cm) ξ0,BCS (nm) lf ree (nm) 8,63 9,13 4,43 1,01 9,9 0,59 35 33 3,9 65 Tab. II.1 – Caractéristiques fondamentales pour des films de niobium “froid” et “chaud”. II.3.2 identification d’un régime de “flux flow” à viscosité constante Lorsque le mouvement des vortex est étudié indirectement à partir de la dissipation qui lui est associée, il est essentiel de réduire au maximum l’échauffement du système, inhérent à toute dissipation, afin de minimiser les effets thermiques sur la dynamique des vortex 30 . Aussi en préambule à toutes les mesures de transport, une vitesse d’injection du courant vI suffisamment importante doit être choisie pour que l’échauffement ne perturbe par les propriétés des courbes (J, E). La figure II.6a illustre cette indispensable précaution en montrant un exemple d’expérience de transport pour une rampe de courant avec un temps de montée de 1 ms. Le régime dissipatif se conclut par un brusque saut vers l’état normal à un niveau de courant I ∗ et de tension U ∗ . Les dépendances en fonction de vI de ces deux paramètres (cf. figure II.6b) montre que l’influence des échauffements sur la transition diminuent quand vI augmente : plus vI croı̂t et plus l’énergie apportée au système diminue, conduisant à une augmentation de J ∗ . Les effets thermiques semblent devenir négligeables au dessus d’environ 30 A/s dans ce cas précis, et permet ainsi de choisir une vitesse de courant vI appropriée. Avec cette précaution, les caractéristiques E(J) sont relevées pour différents champ magnétiques Ha et températures T . Un exemple de la réponse champ électrique/densité de courant du film “froid” est représenté sur la figure II.7, des comportements similaires étant obtenus pour tous les films testés. Au-dessus du courant critique de dépiégeage Jc , un comportement linéaire E ∝ J correspondant à un régime de viscosité constante, prend tout d’abord place. Puis, il est suivi à plus hauts courants par une courbure positive des caractéristiques E(J), synonyme d’une viscosité variable, qui se termine à (E ∗ , J ∗ ) par un saut vers l’état normal. Ce comportement est discuté dans le cadre d’un mouvement visqueux du réseau de vortex. La conductivité σF F associée à la partie linéaire est tout d’abord analysée et permet de déduire directement l’évolution du coefficient de viscosité η. Comme le montre la figure II.8, la dépendance du rapport σF F /σn en fonction du champ magnétique est en bon accord avec l’expression complète du modèle de FF proposée par W.S. Chow (cf. equation II.4 : σF F /σn = A(t) + k(t)). Les B 30. Z.L. Xiao et al., 2001 Phys. Rev. B 64 0945111 49 * U (V) * 0.0175 * 2 0.03 5.75 10-3 5.875 10-3 0 t (s) 0.02 0.01 U 20mT 6K a) 4.5 10-3 5 10-3 5.5 10-3 * 2.8 19 18 2.7 17 0.01 2.6 0 6 10-3 t (s) E* (V/m) I (A) U 20mT 6K U (V) 0 0 20 0.04 0.025 J*(MA/cm ) 0.02 vers l'état normal I (A) I 21 2.9 0.05 0.05 I b) 1 10 100 v (A/s) 16 1000 I Fig. II.6 – Exemple de mesures de transport sur un micro-pont de niobium avec une largeur de 8, 5 µm pour T = 6K et H a = 20mT . Le graphique a) montre une expérience typique de mesure de la réponse en tension d’un film supraconducteur pour une rampe de courant vI ≃ 30 A/s. L’insert permet de distinguer la brusque transition vers l’état normal qui s’accompagne d’une chute du courant due à la limitation en courant de l’alimentation. L’évolution des paramètres E ∗ et J ∗ en fonction de vI est présentée en Figure b). deux paramètres du modèles théoriques sont A(t) et r(t). Dans le régime linéaire E(J), le coefficient de viscosité η est donc constant pour une température donnée (voir la relation II.2), confirmant ainsi que la région linéaire correspond à un écoulement du réseau de vortex à viscosité constante. De ces ajustements entre courbes expérimentales et modèle théorique, il est déduit la variation du paramètre A(t) en fonction de la température. Pour les échantillons en limite propre, ce dernier correspond au champ critique Bc (T ) déduit des courbes de résistivité (voir l’insert de la Figure II.8). Ce résultat est en accord avec les mesures dans des systèmes “ très propres” (λf ree >> ξ) comme les films cuprates SHTC 31 et permet de déduire que la dissipation associée à un régime FF est très majoritairement due aux courants traversant le coeur des vortex. Au contraire dans les échantillons en limite sale, le coefficient A(t) est indépendant de la température et est de l’ordre de 0, 9Hc2(0) pour le film le plus “sale” comme dans le calcul de LO (equation II.5). La taille effective de la région dissipative est donc indépendante de la dimension du coeur des vortex ξ(t) lorsque la résistivité est bien définie dans cette région du vortex avec ξ >> lf ree . Ce résultat montre, de façon inattendue, que la dissipation associé au “flux flow” est certainement gouvernée par les mécanismes autour du coeur pour des su31. M.N. Kunchur et D.K. Christen, 1993 Phys. Rev. Let. 70 998 50 E(V/m) T = 7,8K 160 150mT 120 100 120 80 E* vers l'état normal 80 70 60 40 30 20 40 10 5mT 0T 0 1.5 106 J* 3 106 4.5 106 2 6 106 J (A/cm ) Fig. II.7 – Courbes champ électrique/densité de courant pour l’échantillon “froid” à T = 7, 8 K et sous différents champs magnétiques B a . praconducteurs en limite sale. De plus, une modification de la surface des films minces en limite sale par la mise en contact avec une couche métallique (Nb/Au ou Au/Nb/Au) modifie les propriétés du FF qui se rapproche de celui des films en limite propre avec A ≃ Bc (T ) (voir l’insert de la Figure II.8). Cette observation est surprenante et pose de nombreuses questions sur l’influence de la proximité d’une couche métallique avec un supraconducteur sur la dynamique des vortex. Dans ce contexte, il est présenté par la suite des éléments de réponses sur cette problématique encore peu étudiée. D’autre part, la viscosité est intimement reliée au piégeage des vortex comme l’illustre la Figure II.9. Celle-ci présente pour une même température t réduite et une même densité de vortex (Ba = 20mT ) la valeur de la viscosité dans quatre films en limite sale. Il est remarqué que le coefficient η semble suivre une progression similaire à celle de Jc : plus le piégeage des vortex est élevé et plus la viscosité est importante. Cela signifie que l’accélération des vortex dans le régime de FF est d’autant plus “difficile”, c’est à dire qu’elle nécessite un accroissement plus important de la force FL , que le piégeage est élevé. L’écoulement des vortex bien au dessus du seuil de dépiégeage reste donc dépendant de l’ancrage statique du réseau contrairement au modèle de “flux flow” : la force de piégeage reste effective même lorsque les vortex se déplacent à grande vitesse. 51 1000 Nb modérément "sale" Nb "chaud" Nb "froid" 100 / σn,T=9,2K 1500 Nb/Au σ FF c B (mT) 1000 10 500 1 0 t= T/Tc = 0,9 1 10 Nb chaud 5 6 7 8 9 T (K) 3 100 10 B (mT) 4 10 5 10 Fig. II.8 – Evolution en fonction du champ magnétique du quotient des conductivités σF F /σn,T =9,2K pour une température réduite t ≃ 0, 9 dans les films de niobium “chaud” (propre), “froid” (limite sale) et un système intermédiaire en limite modérément “sale” caractérisé par ξ/λ ≃ 0, 7(ξ/λ) f roid . Le modèle théorique de W.S. Chow est représenté par les lignes pointillées. L’insert montre la correspondance entre le paramètre A(t), signalé par des croix, et la ligne continue B c (T ) issue des courbes de résistivité pour le niobium chaud et une bicouche Nb/Au en limite sale. 8 10 t = 0,9 B = 20 mT 7 10 η FF 0 / Φ (SI) a 6 10 0 0,2 0,4 2 J (MA/cm ) 0,6 c Fig. II.9 – Relation entre la viscosité du régime de “flux flow” η F F et le courant critique dans quatre films de niobium en limite “sale” pour t = 0.9 et B a = 20mT 52 II.3.3 propriétés du saut vers l’état normal : instabilité de “flux flow” Aprés avoir identifié un régime d’écoulement visqueux des vortex, il paraı̂t naturel d’interpréter la brusque transition vers l’état normal qui se produit à plus haute vitesse (de l’ordre de 1000 m/s) comme une instabilité de “flux flow”. Pour vérifier cette hypothèse, le couple (J ∗ , E ∗ ) est mesuré sur une large gamme de température T0 et de champ magnétique Ba puis est comparé aux prédictions théoriques de A.I. Bezuglyj et V. Shklovski qui prennent en compte un coefficient d’échange thermique fini h entre la couche et le substrat. Le principal résultat de leur modèle est l’ajustement des coordonnées J ∗ et E ∗ pour tout champ Ba << 0, 4Bc2 (T ) et température T0 sur une courbe uni∗ ∗ verselle de la forme (E ∗ /ELO )/(1 − z) = (J ∗ /JLO )−1 (équation II.15). Cette relation est paramétrée avec la variable z qui dépend sous une forme complexe ∗ ∗ de Ba et du champ critique BT (cf. page 43), et par les valeurs JLO et ELO qui ne dépendent, elles, que de T0 . Afin de comparer les résultats expérimentaux avec cette relation, il est nécessaire de déterminer pour chaque température ∗ ∗ T0 les valeurs de JLO , ELO et BT . Dans cette démarche, le champ BT est tout d’abord déduit directement de la variation de la puissance P ∗ = E ∗ .J ∗ au niveau du saut en fonction de Ba pour une température T0 fixe. La figure II.10a montre la correspondance entre les données expérimentales et la courbe théorique de P ∗ (équation II.15) avec deux paramètres ajustables BT ∗ et PLO . Cet accord entre les données expérimentales et la prédiction théorique est vérifié dans une large gamme de température et de champ magnétique, indifféremment des propriétés électroniques des films de niobium (sale ou propre). Ce point est résumé en figure II.11. Il est ensuite possible de calculer la valeur de z correspondant à chaque valeur de Ba et de tracer la dépendance de la densité J ∗ (z) pour une température T0 donnée. Il suffit ensuite d’ajuster cette courbe avec la formule théorique de ∗ J ∗ (z) (voir l’équation II.10) pour déterminer le paramètre JLO . Un exemple ∗ de cette variation est présentée en Figure II.10b. Le champ électrique ELO est ∗ ∗ finalement calculé à partir de PLO /JLO . Ce type d’analyse peut être appliqué dans une large gamme de températures comprises entre 6K et Tc . De plus, elle concerne aussi bien des films en limite sale qu’en limite propre, alors que le modèle théorique a été développé uniquement pour des supraconducteurs en limite sale. La Figure II.11 montrent que tous les couples (J ∗ , E ∗ ) se disposent par construction exactement sur la courbe universelle définie par la relation II.15, confirmant ainsi le très bon accord entre les expériences et le modèle théorique. Le saut vers l’état normal qui survient à la fin du régime de “flux flow” correspondrait donc à une instabilité de FF purement magnétique pour B < BT (modèle de LO) alors qu’un échauffement de l’échantillon lié aux électrons chauds émis du coeur des vortex en mouvement gouverne la transition pour B >> BT . 53 Un saut en dessous du “ courant de désappariemment” : dans le cas le plus défavorable, il est calculé selon la définition de Jdep (voir page 13) que Jdep ≃ 108 A/cm2 pour T = 8 K, soit plus d’un ordre de grandeur supérieur à J ∗ 11 5 106 6 10 LO 2 -courbe théorique : P* . (1- z ) 11 paramètres : P* = 9,3.10 W/cm 3 LO B = 7,25 mT 2 1011 J* (A/cm ) 4 10 3 P* (W/m ) = E*.J* 3.75 106 11 T 2.5 106 -courbe théorique : 1/2 8 3/4 1/2 J* z (3z-1) /(3z+1) LO 6 1.25 10 -paramètres : J* = 5,45 MA/cm 2 LO 0 100 0 a) 6,5K 10 20 30 40 0 100 50 B (mT) 6,5K b) 0.4 0.6 0.8 z Fig. II.10 – Dépendance de la puissance critique P ∗ = E ∗ J ∗ (Figure a) et de la densité J ∗ (Figure b) en fonction respectivement du champ magnétique B a et de z (fonction complexe de Ba et BT ). L’échantillon est un film de niobium modérement “sale” maintenu à T = 6, 5 K. Les lignes représentent les courbes théoriques issues des équations II.15 pour P ∗ (Ba ) et II.10 pour J ∗ (z). 4 (E*/E*LO ) / (1-z) 3.5 3 2.5 2 1.5 1 0.2 0.4 0.6 0.8 1 J*/J*LO Fig. II.11 – Comparaison de la courbe universelle y = 1 x (equation II.15) représentée par la ligne en pointillée avec les données pour un film mince en limite “sale” (cercles pleins) à T = 7, 8 K, et une autre couche en limite modérément “sale” (symboles vides) pour T = 6; 6, 5; 7; 7, 5; 8K. 54 La frontière entre les régimes purement “magnétique” et “thermique” est étudiée en fonction de la température pour trois films : une couche en limite sale, une autre en limite propre et une tricouche Au/Nb/Au en limite “sale” mais pour laquelle, comme il a déjà été dit, les propriétés du FF se rapprochent d’un système propre. La variation de BT (T ) est présentée en Figure II.12a pour T ∈ [6; 8]. Dans cette gamme de température, la densité de vortex maximum pour laquelle l’instabilité peut être attribuée uniquement au mécanisme de LO est de l’ordre de 2, 5 à 5 vortex/µm2 (2 à 5 mT). Cette faible valeur indique que l’échauffement des quasiparticules est rapidement prépondérant même loin de Tc . D’autre part, le champ BT , qui dépend du produit h × τin (cf. équation II.13), ne suit pas de variation particulière dans les films déposés à température ambiante (en limite sale) alors qu’il semble décroitre pour le film déposé à 780◦ C. Dans ce cas, plus la température T0 est élevée et plus les “électrons chauds” influencent l’instabilité de FF. Pour une densité de vortex entre 2 et 4 fois supérieure à celle correspondant au seuil BT , la variation de la vitesse critique vv∗ en fonction de la température, avec h comme variable d’ajustement, est montrée dans la Figure II.12b pour ces trois mêmes échantillons. Pour les supraconducteurs “sales”, la courbe vv∗ (T ) suit une dépendance de la forme (1 − t)1/4 similaire à celle prédite par A.I. Bezuglyj et V. Shklovski (voir l’équation II.14) dans le cas où le coefficient h dépend faiblement de la température T . Au-dessus de BT , la vitesse critique à laquelle se produit l’instabilité ne dépend donc plus de la durée de vie hors équilibre des quasiparticules τin mais uniquement de la température des électrons chauds. A l’opposé, à faible champ Ba < BT le taux de relaxation des quasiparticules éjectées du coeur (τin )−1 joue un rôle majeur dans le mécanisme de LO. Compte tenu de la correspondance entre la théorie et la pratique, il est aisé de déterminer la valeur unique de τin pour chaque température à partir du ∗ ∗ produit de l’expression de ELO (équation II.11) et de celle de JLO (équation II.12) qui ont été préablement déduites des mesures (voir la Figure II.10), et de la valeur de la conductivité à l’état normal σn . Il est important de noter que cette détermination est indépendante de vF et de lf ree qui sont toujours assez difficile à mesurer précisément. La figure II.13a montre la dépendance en température de τin pour trois échantillons déposés sur des substrats de saphir (AuNbAu et Nb “sale” et Nb “propre”). Le temps de relaxation inélastique τin des quasiparticules est trouvé, indépendamment de la nature du substrat, environ un ordre de grandeur plus faible pour les systèmes “sales” par rapport au film en limite propre, reflétant le plus grand libre parcours moyen lf ree des électrons de ce dernier. De ce fait, une quasiparticule éjectée du coeur d’un vortex en mouvement participe moins longtemps à la diminution générale de la viscosité à proximité des vortex dans un système en limite sale que dans un supraconducteur propre. La vitesse critique vv∗ à laquelle se produit l’instabilité FF est donc repoussée à de plus hautes valeurs de champ électrique E ∗ dans un système sale comme l’illustre la figure II.12b : plus le supraconducteur est “sale”, c’est à dire plus lf ree décroı̂t, et plus vv∗ augmente 55 12 Nb "sale" AuNbAu "sale" Nb "propre" 2000 v* = E* /B (m/s) a 8 T B (mT) 10 6 Nb "sale" AuNbAu "sale" Nb "propre" 4 1/4 B = 20mT a 1000 a) 2 5,5 (1-t) 1500 b) 6 6,5 7 7,5 8 8,5 4,5 T(K) 6 T(K) 7,5 9 Fig. II.12 – Figure a) variation en température du champ magnétique critique BT pour l’échantillon froid (sale), chaud (propre) et la tricouche Au/Nb/Au. Pour Ba < BT , les effets thermiques associé à l’échauffement du système sont négligeables et la transition est gouvernée par le mécanisme de LO. Au contraire, quand Ba > BT , les effets thermiques sont prépondérants pour le saut vers l’état normal. Dans ce dernier cas, la variation de la vitesse critique v v∗ est présentée pour les mêmes films et Ba = 20 mT . Les lignes en pointillés représentent la variation vv∗ donnée par l’équation II.14. où Tc est la valeur déduite des mesures de résistivité. pour une même température. L’effet de proximité semble également repousser l’emballement à de plus hautes vitesses, ce qui reste une question ouverte. La valeur absolue de τin varie de 1, 9 ns pour T = 6 K à 0, 35ns pour T = 7, 5 K dans le film en limite propre. Elle est quasiment indépendante de la température avec τ ≃ 20 − 40ps pour les films “sales”. Ces valeurs sont très proches de celles obtenues par des mesures de magnétoconductance 32 , 33 ou dans la littérature traitant de détecteurs photoniques 34 , 35 . A titre indicatif, il est intéressant de noter que la durée de vie des quasiparticules dans les films de niobium en limite propre à 6K est d’un ordre de grandeur plus faible que celle mesurée à 77K dans des films de cuprates supraconducteurs 36 qui sont en limite “très propre”. Toutefois, la valeur quasi-constante de τin dans les films “sales” et le désaccord des données expérimentales avec un modèle de diffusion inélastique avec les phonons 37 (τd,e−p ∝ T −n , n ∈ [1, 6; 3]) et 32. B.J. Dalrymple et al., 1986 Phys. Rev. B 33 7514 33. M. Hikita et al., 1990 Phys. Rev. B 42 118 34. A.V. Sergeev et M. Yu. Reizer, 1996 Int. Jal. of Mod. Phys. B 10 635 35. G.N. Gol’tsman et al., 1991 Super. Sci. Technol. 4 453 36. S. Doettinger et al., 1997 Phys. Rev. B 56 14157 37. B.J. Dalrymple et al., 1986 Phys. Rev. B, 33 7514 56 -8 10 Nb "sale" sur Si Nb "sale" AuNbAu "sale" Nb "propre" 10 -9 in 2 τ (s) h ( W / cm K) 10 -10 10 -11 10 a) 5,5 Nb "sale" sur Si 6 6,5 7 7,5 8 8,5 1 T(K) Nb "sale" AuNbAu "sale" Nb "propre" b) 6,125 7 7,875 8,75 T(K) Fig. II.13 – Variation de τin (Figure a) et du coefficient d’échange thermique h (Figure b) en fonction de la température du bain T 0 . La ligne pointillée de la Figure a) représente le modèle de recombinaison des quasiparticules ajusté aux données expérimentales, la ligne dans la Figure b) est “un guide pour les yeux” −1 −1 avec les électrons (τd,e−e ∝ T −1 ) où τd−1 = τd,e−p + τd,e−e , interrogent sur la signification physique de τin . Un autre mécanisme a été suggéré par S. Doettinger et al.36 pour expliquer la variation en température de τin . Il s’agit d’un processus de recombinaison des quasiparticules en paires supraconductrices accompagné de l’émission de phonons. Ces auteurs vérifient que la durée de relaxation τin déterminée dans un film d’Y BaCuO et un autre de Mo3 Si suit une variation de type e2∆(T )/kB T avec ∆(T ) ≃ ∆(0)(1 − t)1/2 , le gap supraconducteur. Cette expression décrit de manière satisfaisante l’évolution de τin (T ) pour le film “propre” ( voir la Figure II.13a) avec comme paramètre ajustable ∆(0) ≃ 1, 16kB Tc alors que la théorie BCS prédit ∆(0) ≃ 1, 76kB Tc . Un processus de recombinaison semble donc gouverner la relaxation des quasiparticules éjectées pour les films de niobium en limite propre. Au contraire la durée τin en limite sale, qui est indépendante de la température, n’a pas d’explication claire sauf si l’on l’assimile à un temps de diffusion inélastique τd (T ). Il a été en effet montré par S.B. Kaplan et al. 38 que τd (T ) devient presque constant pour des énergies d’éjection du coeur δE > 2∆(0). Ceci indiquerait donc que les processus de diffusion jouent un rôle majeur dans la relaxation des quasiparticules dans les systèmes en limite sale, et que l’énergie à laquelle celles-ci sont éjectées du coeur doit être bien supérieure à ∆(0). Enfin, l’étude du saut vers l’état normal permet de déduire la valeur du coefficient de transfert thermique h à partir de l’équation II.13. Il varie de 2, 7 W/cm2 K à 4, 7 W/cm2 K pour T ∈ [6; 8]K dans les films de niobium déposés directement sur un substrat de saphir. Ces valeurs sont un à deux ordres 38. S.B. Kaplan et al., 1976 Phys. Rev. B 14 4854 57 de grandeur inférieurs à celles obtenues 39 sur des films d’Y BaCuO épitaxiés sur des substrats de saphir, mais sont au contraire 10 à 100 fois supérieures à la situation d’un monocristal simplement collé 40 . Elles semblent donc être raisonnables et confirment que nos films ne sont pas épitaxiés. De plus, le coefficient h est indépendemment des propriétés électroniques du système (“sale” ou “propre”). Cette observation est inattendue et montre que la résistance thermique entre le film de niobium et le substrat est assez élevée. Dans le cas où une couche métallique intermédiaire est intercalée entre les deux, le contact thermique est quelque peu amélioré avec une résistance plus faible entre le dépôt d’or et celui de niobium. L’interface semble aussi être meilleure lorsque le film est déposé sur un substrat de silicium qui a pourtant une conductivité thermique bien plus faible que celle du saphir. II.4 Influence de la surface sur les courants critiques Les empilements supraconducteur/métal sont des structures présentant un intérêt à la fois fondamental et technologique. Pour les applications électrotechniques à fortes puissances telles que la limitation du courant, il est montré dans le chapitre suivant que la présence d’un shunt électrique (une couche métallique) déposé sur un film d’Y BaCuO est fondamentale pour la protection du composant. Il est donc naturel de s’interroger sur l’effet de ce contact supraconducteur/métal sur les densités de courants critiques Jc et J ∗ . Dans ce cadre, les travaux sur les films de niobium sont étendus à des systèmes de type Nb/Au (ou Au/Nb/Au) afin d’étudier, dans un cas relativement simple, l’influence de la présence d’un métal normal sur les caractéristiques de l’état dissipatif. Cela s’inscrit directement dans une problématique plus vaste et peu étudiée qui est celle de l’influence de la surface sur les courants critiques et la dynamique des vortex. En modifiant physiquement la surface des films de niobium, il est également montré que le piégeage des vortex est considérablement changé. L’étude présentée est restreinte à des films de niobium et d’or en limite sale. 39. Z.L. Xiao; E.Y. Andrei et P. Ziemann, 1998 Phys. Rev. B 58 11185 40. Z.L. Xiao et al., 2001 Phys. Rev. B 64 094511 58 II.4.1 l’effet de proximité Avant de présenter les résultats expérimentaux obtenus, les bases et les relations essentielles de l’effet de proximité sont exposées. La supraconductivité à la surface d’un supraconducteur (S) peut être modifiée par la mise en contact avec une couche métallique (M) : c’est “l’effet de proximité” 41 . Ce mécanisme combine une diffusion des paires de Cooper du supraconducteur vers le métal, et réciproquement une pénétration des charges électroniques normales (sous forme de quasiparticules) du métal dans le supraconducteur sur une distance de l’ordre de la longueur de cohérence du supraconducteur ξs . La diffusion de paires supraconductrices dans le métal se réalise quant à elle sur une distance dont l’échelle est donnée par une longueur de cohérence ξM dans le métal. Pour un métal en limite sale, les mécanismes de diffusion contrôle ξM qui s’exprime par la relation 42 : r ~.D ξM = , (II.16) 2π.kB T v l avec D = F 3f ree le coefficient de diffusion. Pour une distance x >> ξM de l’interface, la probabilité de trouver une paire condensée par effet de proximité est : F = f (x).e−x/ξM où f (x) varie peu avec x. Sur des distances plus courtes, la décroissance de F est beaucoup 1 avec x1 une constante. Il est également intéressant plus lente 43 : F = Cst x+x 1 de noter que, contrairement à la situation dans un supraconducteur, la longueur de cohérence ξM de la supraconductivité induite diminue lorsque la température T augmente. Le schéma de la figure II.14 permet de saisir la réalité physique de ξM . Une supraconductivité est donc induite dans le métal tandis qu’elle est affaiblie dans le supraconducteur. Cet effet s’accompagne d’une réduction ∆Tc de la température critique du supraconducteur définie pour un film épais (ds >> ξs (T = 0)) isotrope et en limite sale par la relation suivante : π ∆Tc = 0, 852 ξ0,BCS .lf ree .Tc ( )2 , Tc 2(ds + b) (II.17) ds est l’épaisseur du film supraconducteur et les paramètres Tc , ξ0,BCS , lf ree sont relatifs au supraconducteur. La longueur de cohérence BCS ξ0,BCS est définie par la relation suivante : p ξ(T = 0) = 0, 85 ξ0,BCS .lf ree (II.18) 41. G. Deutscher et P.G. de Gennes, 1969 Superconductivity édité par R. Parks (Marcel Dekker, New York) p. 1005 42. P.G. de Gennes et E. Guyon, 1963 Phys. Let. 3 168 43. D.S. Falk, 1963 Phys. Rev. 132 1576 59 Fig. II.14 – Forme du paramètre d’ordre /Ψ/ proche de l’interface entre un supraconducteur et un métal pour Ba = 0 et T ≃ Tc . La longueur b peut également être vue comme une “longueur d’extrapolation” avec b ≈ ξ M Il est intéressant de noter que cette diminution ∆Tc peut être amplifiée par une importante rugosité de surface pour des films anisotropes44 . Le niobium est lui un supraconducteur isotrope et l’équation II.17 s’applique donc sans modification. Toutefois, la préparation des échantillons régit l’amplitude et les propriétés de l’effet de proximité. L’un des éléments les plus sensibles est la qualité du contact électrique à l’interface S/M. Un mauvais contact électrique contribue à diminuer la diffusion réciproque des charges électroniques et peut induire jusqu’à l’annhilation du processus (∆Tc = 0). De plus, il est nécessaire d’éviter une interdifusion des atomes entre S et M afin de ne pas modifier les propriétés supraconductrices. Pour se faire, il est préférable41 que les deux matériaux soient en limite “sale” afin d’être insensibles à une petite diffusion d’atomes métalliques dans le supraconducteur. II.4.2 courants critiques dans N b/Au a) mise en évidence de l’effet de proximité Le choix de bicouches Nb/Au en limite sale préparées in situ, à froid sur des substrats de silicium apparaı̂t donc judicieux. Elles permettent de limiter la diffusion des atomes tout en assurant un bon contact électrique entre les deux couches. Les épaisseurs des films de niobium ds et d’or dM sont respectivement de 100 nm et 20 nm. Les échantillons sont préparés sous forme de micro-ponts de 10 µm de largeur. Une gravure chimique sélective et partielle de la couche d’or a été effectuée sur l’une des bicouches (échantillon Nb/AuG ), laissant 44. R.G. Mints et I.B. Snapiro, 1998 Phys. Rev. B 57 10318 60 apparaı̂tre une mosaı̈que d’ı̂lots de métal de quelques µm2 de surface : voir le schéma de la figure II.15. Cet échantillon est donc composite, caractérisé par une succession de parties Nb en série avec des zones Nb/Au. La résistivité des films est mesurée en fonction de la température et du champ magnétique. La résistivité résiduelle à 10 K du film de niobium est ρN b ≃ 9, 9 µΩ.cm, correspondant à un libre parcours moyen 45 lf ree,S de l’ordre de 2, 6 nm. La résistivité de l’or à 10 K est déduite ensuite de la comparaison entre une bicouche Nb/Au et un film Nb préparés dans les mêmes conditions : ρAu ≃ 3, 1 µΩ.cm soit un libre parcours moyen 46 dans le film métallique de lf ree,M ≃ 27, 2 nm (voir page 48). La relation II.16 permet alors de déduire la valeur de la longueur de cohérence de l’or à 9 K : ξM ≃ 39, 2 nm Cette valeur est de l’ordre de l’épaisseur de l’or et indique que le film métallique est donc influencé dans toute son volume par l’effet de proximité. D’autre part, ce résultat est cohérent avec l’approximation de limite sale pour le film d’or avec ξM > lf ree,M . La variation de Bc déduite des courbes de résistivité (figure II.15) permet de déduire une valeur de la longueur de cohérence du niobium ξs (T = 0) ≃ 10nm. Cette valeur confirme que les films de niobium sont aussi en limite sale et conduit à déterminer le produit ξ0,BCS .lf ree à l’aide de l’équation II.18 : ξ0,BCS .lf ree ≃ 138 nm2 . D’autre part, les longueurs caractéristiques de diffusion des quasiparticules étant de l’ordre de ξ(T ), le volume du supraconducteur affecté par l’effet de proximité devrait être assez important : pour t = 0, 9 cela correspond à un volume supraconducteur affaiblis d’environ 66%. L’évolution comparée de la résistance des échantillons Nb/Au et Nb/Au G est représentée dans l’insert de la Figure II.15. Le petit décrochement qui est observé avant la transition complète de l’échantillon Nb/AuG est attribué à l’apparition de paires de Cooper dans les zones du micropont non recouvertes d’or. Les régions Nb/Au de supraconductivité affaiblie transitent ensuite à des températures plus faibles, et les deux courbes R(T ) des échantillons Nb et Nb/AuG se rejoignent finalement à 9K. A partir de cet écart de température ∆Tc ≃ 44 mK entre les deux transitions, une seconde estimation du produit ξ0,BCS .lf ree est calculée grâce à l’expression II.17 : ξ0,BCS .lf ree ≃ 50 nm2 . La valeur obtenue est du même ordre de grandeur que celle calculée précédemment à partir des données déterminées pour le niobium (ξ0,BCS .lf ree ≃ 138 nm2 ). La différence entre ces deux valeurs est peut être due à une surévaluation de la valeur de la résistivité de la couche métallique (la valeur 45. les valeurs des paramètres pour le niobium sont : vitesse de Fermi : vF ≃ 2, 2.105 m/s (valeur de la littérature), densité de charge : n ≃ 5, 56.1028/m3 46. les valeurs des paramètres pour l’or sont extraites de N.W. Ashcroft et N.D. Mermin, 1976 solid State Physics , Saunders College Publishing vitesse de Fermi : vF ≃ 1, 4.106 m/s, densité de charge : n ≃ 5, 9.1028/m3 61 1.4 50 Nb/Au 0 0.7 c B (T) R (Ω) 100 Nb/Au Nb/Au 9 T(K) G 9.125 Nb G Au Nb 0 silicium 0.7 0.8 0.9 1 T / T (B =0) c c a Fig. II.15 – Variations en températures du champ critique B c déduit des mesures de résistivité pour les films N b, N b/Au et N b/Au G . La structure de ce dernier échantillons est indiqué sur le schéma en bas de la Figure. Les courbes de résistivité R(T ) en champ propre pour N b/Au et N b/Au G sont représentées en insert, montrant dans ce dernier le démarrage précoce de la transition dans les zones non recouvertes d’or. classique de la littérature étant de ρAu ≃ 1µΩ.cm) qui conduit à une sousévaluation de la longueur de cohérence de l’or. La Figure II.15 montre également que Bc (T ) est aussi affecté par l’effet de proximité comme prédit par M. Yu. Kupriyanov 47 . Cette modification est donc synonyme de longueurs de cohérences moyennes plus importantes dans les bicouches (Hc2 = Φ0 /(2Πξ 2(T ))) comme le laisse supposer l’affaiblissement de la supraconductivité par effet de proximité sur une épaisseur relativement importante. b) courants critiques et effet de proximité L’influence de la couche métallique sur les propriétés supraconductrices du niobium étant mise en évidence, son éventuel effet sur la dynamique des vortex est recherché. De la même manière que précédemment, les transitions (J, E) se composent d’un régime linéaire de “flux flow” se terminant par un saut abrupt vers l’état normal pour les trois types d’échantillons étudiés ici : Nb, Nb/Au et 47. M. Yu. Kupriyanov, 1985 Fiz. Nizk. Temp. 11 1244 traduction 1985 Sov. Jal. Low Temp. Phys. 11 688 62 Nb/AuG . Les densités de courant associées à la force de piégeage pour Jc , et à la force visqueuse à J ∗ sont mesurées pour les deux échantillons Nb/Au et Nb/AuG . Leur comparaison est présentée dans la Figure II.16, où Jc et J ∗ sont reportées en fonction du champ magnétique extérieur Ba pour une même température T0 = 8K. La densité Jc correspond à un seuil de dissipation de 30µV /cm. 1.5 3 106 1.5 0.1 1 2 J* (A/cm ) Jc (A/cm ) 2 8K a) 0.01 1.2 106 0.001 1.2 10 1.1 NbAu NbAuG J*NbAuG/J*NbAu NbAu 2 105 0.001 2 106 /J* 8K 1.3 NbAuG 4 10 1.3 5 NbAu 6 105 /Jc NbAuG NbAu JcNbAuG/JcNbAu NbAuG 10 8 105 J* Jc 1.4 6 1.4 3 106 1 b) 0.9 0.01 0.1 1 10 B (mT) B (mT) a a Fig. II.16 – Variations des densités de courant critique de piégeage J c (figure a) et de transition vers l’état normal J ∗ (figure b) en fonction du champ magnétique Ba pour les films N b/Au et N b/AuG . La température T0 est fixée à 8 K. La valeur de champ magnétique Ba = 0, 01mT correspond aux mesures en champ propre. Il est rappelé que les deux films ont une même température critique T c (B) soit une température réduite t identique. Il apparaı̂t que les valeurs de J ∗ à bas champs sont plus importantes dans la structure composite Nb/AuG , suggérant ainsi l’existence de plus forts courants d’emballement dans les zones de niobium seules. La différence de J ∗ entre les deux échantillons décroı̂t en augmentant la densité de vortex, jusqu’à disparaı̂tre pour un champ de 10mT correspondant à environ 5 vortex par µm2 . A l’opposé, la différence entre les courants critiques des deux échantillons augmente avec Ba tout en conservant l’inégalité : Jc,N b/AuG > Jc,N b/Au . En résumé, la Figure II.16 montre tout d’abord que la présence de régions de niobium non recouvertes d’or déplacent les transitions dissipatives (au seuil de dissipation ou vers l’état normal) associées au mouvement des vortex vers de plus hauts courants. De plus, l’évolution de l’importance relative de ces régions de Nb en fonction du champ magnétique est opposée pour Jc et J ∗ . Ces résultats peuvent être interprétés de la façon suivante : –à faible vitesse des vortex (proche de Jc ), la contribution des régions de niobium non recouvertes d’or, qui “retiennent” les vortex, devient plus forte lorsque la densité des vortex augmente, suggérant un comportement collectif fort de l’ensemble du réseau de lignes de flux ; 63 – à grande vitesse, la convergence à 10 mT des J ∗ montre au contraire un découplage des domaines Nb/Au et Nb vers les fortes densités de vortex. Ces résultats montrent clairement que l’effet de proximité diminuent 48 les densités de courant de dépiégeage Jc et de transition vers l’état normal J ∗ et ouvrent des perspectives intéressantes d’études de la dynamique de dépiégeages des vortex dans des échantillons composites. II.4.3 influence de la surface Plus généralement, une comparaison sur de nombreux échantillons semblent indiquer que les courants critiques sont affectés par la nature électronique ou morphologique de la surface d’un film supraconducteur. A titre d’illustration, la Figure II.17 montre l’évolution de Ic en fonction de la température à Ba = 10mT pour plusieurs échantillons de largeur identique. L’écart observé entre les films élaborés à chaud (limite propre) ou à froid (li0.025 Nb limite sale Nb limite propre 0.02 Nb limite propre : décapage ionique Au/Nb/Au : Nb en limite propre Ic20 V ( A ) 0.015 0.01 0.005 B = 10 mT a 0 0 0.1 0.2 1-t 0.3 0.4 0.5 Fig. II.17 – Courants critiques en fonction de la température réduite t pour trois films de niobium de caractéristiques différentes. Le critère de tension pour J c est 30 µV /cm. mite sale) pourrait être attribué à une contribution différente du piégeage de volume dans ces échantillons de microstructure différente. Cependant, les longueurs ξ0,BCS voisines de ces deux échantillons, de l’ordre de 35 nm, rendent les vortex relativement insensibles au changement de microstructure. La taille 48. C. Peroz, C. Villard, A. Sulpice, P. Butaud, 2002 Physica C 396 222 64 typique des joints de grains est (quelques nanomètres) très inférieure à ξ. En revanche, une différence majeure entre ces deux types de films concerne la rugosité de surface, qui est plus faible pour les films “propres” de l’ordre du nanomètre, que pour les films “sales” 49 (10 nm). Pour tenter de vérifier l’hypothèse que l’état de surface est un paramètre fondamental pour Jc , un décapage ionique réactif de la surface de la couche en limite propre a été réalisé afin de modifier la morphologie de la surface en forme de marches d’environ 10nm de profondeur et de 10 µm de largeur. Alors que l’épaisseur totale de la couche a été réduite par l’attaque ionique, le courant critique Ic a été presque multiplié par deux sur toute la gamme de température. Ce résultat assez spectaculaire nécessite toutefois d’être confirmé par une étude détaillée de la relation entre les propriétés de transport et la morphologie de la surface. Dans ce cadre, une collaboration avec l’équipe de C. Simon à Caen est initiée et les résultats sur des films de niobium semblent confirmer l’importance de l’état de surface sur le piégeage des vortex. II.5 Effets de bord Le bord d’un échantillon supraconducteur est un autre élément important qui peut influencer la dissipation associée à la dynamique des vortex. En effet, l’entrée et la sortie des vortex dans un supraconducteur sont soumises à une barrière énergétique de surface et/ou géométrique (voir page 19) qui peut considérablement modifier les propriétés du réseau de lignes de flux. Alors que ces barrières (BS) sont généralement négligeables pour les supraconducteurs avec un fort piégeage de volume (Jcvol ), elles peuvent dominer la dynamique des vortex dans les matériaux à faibles Jcvol . Pour preuve, plusieurs études menées par le groupe de E. Zeldov dans des cristaux de SBTC 50 et SHTC 51 ont révélé que les propriétés de transport sont gouvernées dans une large gamme de température par des effets de bord. A l’aide de sondes de Hall, ces travaux ont mis en évidence que le courant circule en quasi-totalité proche des bords lorsque le réseau de vortex est proche de la ligne d’irréversibilité. En l’absence de barrières de surface, la pénétration des vortex dans un matériau ne nécessite pas de forces supplémentaires, les vortex pénètrent à des positions déterminées par l’arrangement du réseau des lignes de flux et l’équilibre des forces élastiques de ce dernier. Cependant en présence de BS, 49. les valeurs sont déduites de mesures réalisées au Microscope à Force Atomique (AFM) avec la participation de A.M. Bonnot du LEPES. 50. Y. Paltiel et al., 1998 Phys. Rev. B 58 R14763 51. D.T. Fuchs et al., 1998 Nature 391 373 65 une force supplémentaire est nécessaire pour que les vortex entrent ou sortent du supraconducteur. Cette contrainte est associée à une densité de courant critique Jcbord plus élevée aux bords que Jcvol . La pénetration/expulsion sera donc favorisée aux endroits où les BS est affaiblie par des imperfections ou une rugosité de bord plus importante 52 . Ce phénomène peut être compris comme une “contamination” 53 du bord par une phase désordonnée de vortex caractérisée par Jcbord (cf. schéma de la figure II.18). La contamination est d’autant plus étendue dans le matériau que le courant de transport injecté varie peu dans le temps et est maximum pour un courant continu DC. En résumé, un échantillon supraconducteur peut être caractérisé dans l’état mixte par deux densités de courant critique, l’une relative au piégeage de volume Jcvol , et une autre proche des bords désignée par Jcbord . Le courant critique total mesuré Ic est donc la somme de ces deux contributions : Ic = Jcbord .e.2λ⊥ + Jcvol .e.(l − 2λ⊥ ), (II.19) où e et l sont respectivement l’épaisseur et la largeur du film supraconducteur. IDC Ba vo Jc Jc b or d l vv IDC Fig. II.18 – Barrière de surface et effet de “contamination” des bords. Dans ce contexte, cette partie rapporte les premiers résultats expérimentaux sur l’influence du bord sur les propriétés de transport dans des systèmes à hautes densités de courant critique Jc .Cette étude a été initiée à la suite d’une série de mesures sur certaines des tricouches Au/Nb/Au (échantillons présentés dans la section précédente) pour lesquelles une asymétrie du courant critique a été observée selon le sens du courant injecté dans certains microponts. Avant de revenir en détail sur ce phénomène, les échantillons étudiés sont brièvement présentés. 52. F. Bass et al., 1996 Physica C 260 231 53. Y. Paltiel et al., 2000 Nature 403 398 66 II.5.1 systèmes à bords contrôlés Les échantillons sont des films de niobium ou des tricouches Au/Nb/Au préparés in-situ à température ambiante sur des substrats de saphir. Les épaisseurs sont identiques aux précédentes couches (eN b ≃ 100nm et eAu ≃ 20nm) et sont très reproductibles. Une couche d’accrochage d’environ 5nm de niobium est déposée entre le substrat et la tricouche. Comme précédemment, une configuration en micropont est adoptée (voir figure II.3, page 45). Les étapes de photolithogravure sont toutes réalisées au MEB et par gravure ionique. L’un des deux bords des ponts peut également être mis sous une forme sinusoı̈dale de 2 µm d’amplitude (voir la figure II.19). Les flancs de gravure sont de l’ordre de 0, 25 µm. vortex Ba I+ Fig. II.19 – Image MEB d’une partie d’un micropont Au/N b/Au dont l’un des bords est ondulé. Les propriétés (Tc , Hc ) des échantillons varie peu d’un échantillon à l’autre et cela indépendamment de leur largeur. Le tableau II.2 résume les principales caractéristiques des tricouches. La longueur de London est déterminée en limite sale à partir de la formule 54 suivante : λ2 (T ) = m.ξ0 , µ0 e2 ns lf ree (II.20) avec m la masse de l’électron et ns la densité de charges. Pour les tricouches, il est supposé que le film de niobium a des propriétés similaires à celles d’un 54. longueur de pénétration : R.F. Wang et al., 2000 Phys. Rev. B 62 11793 67 simple film55 . Toutes les mesures sous champ magnétique sont réalisées en reéchantillon Tc,H=0 (K) Au/Nb/Au 8,9 Hc (T) ξ(0) (nm) λ(0) (nm) 2,2 12,2 ≈100 Tab. II.2 – Caractéristiques des tricouches Au/N b/Au. froidissant l’échantillon sous champ nul, puis en augmentant progressivement Ba . Les valeurs de Ic sont identiques pour un même couple (T, Ba ) quelque soit l’histoire magnétique de l’échantillon (vierge ou un champ inférieur appliqué avant). Les densités Jc sont déterminées pour un seuil de 30 µV /cm sauf mention contraire. II.5.2 mise en évidence de la prédominance des effets de bords dans Au/N b/Au Avant de présenter l’influence de la géometrie des bords d’un échantillon, cette partie met en évidence le rôle prépondérant des effets de surface sur le courant critique. L’une des manières les plus probantes pour mettre en évidence la contribution des effets de bords sur le courant critique et le piégeage des vortex est de comparer la densité Jctot pour des échantillons de mêmes propriétés supraconductrices mais de volume différent (à épaisseur constante). La densité Jctot est calculée en supposant le volume total de niobium. Une telle comparaison a été menée dans trois microponts Au/Nb/Au de largeurs différentes (6, 5 µm, 8, 5 µm et 11 µm) mais avec des caractéristiques Tc (H) identiques. Les figures II.20 montrent sans ambiguı̈té que la densité de courant critique Jctot est très amplement augmentée lorsque les échantillons sont plus étroits. Cette différence de Jc persiste sur une large gamme de température et de champ magnétique. L’accroissement est d’autant plus élevé que T ou Ba sont faibles. Pour une température de 6 K et un champ de 2 mT , la densité Jctot est significativement plus importante dans le pont de 6, 5 µm de large que dans celui de 11 µm. Cette augmentation de Jctot pour les petites largeurs est certainement une conséquence de la barrière de surface (BS) qui retarde l’entrée/sortie des vortex. Au dessus d’un certain champ critique B ∗ , la densité Jctot devient indépendante de la largeur et indique que le piégeage de volume devient dominant par rapport à la barrière de surface. Au contraire, à faibles champs Ba , la densité de bord Jcbord semble déterminer le courant critique. Le courant ne circulerait 55. cette hypothèse n’est valable que dans la mesure où la croissance du film de niobium sur un film d’or n’est pas trop modifiée par rapport une croissance sur support monocristallin. 68 7 10 4 106 l=11 µm l = 6,5 µm a 6 7K 2 2 J (A/cm ) 3 10 J (A/cm ) B = 2 mT 6,5 K 6 2 106 7,5 K c c 10 1 106 7,5 K Bc 5 10 1 10 a) BS B (mT) 8K b) 8,5 K 0 6 100 7 8 9 10 11 12 l ( m) a Fig. II.20 – Evolution en fonction du champ magnétique B a de la densité de courant critique Jc pour une tricouche à bords droits de 6, 5 et 11 µm de largeur (figure a). La figure b) montre la dépendance de la densité critique J c en fonction de la largeur des microponts. alors que dans deux bandes de largeur λ⊥ proche des bords. Le supraconducteur reste dans l’état de Meissner (aucun vortex ne pénètrent) et les courants d’écrantages transportent un éventuel courant. Le courant critique associé à cet état de répulsion totale est déterminé par les conditions d’entrée des vortex par les bords de l’échantillon. A cette première pénétration des vortex est associée le champ critique de barrière de surface BcBS qui est défini dans la limite des échantillons larges (l > λ⊥ ) par la relation suivante 56 , 57 : BcBS = µ0 Ic (0).R , π.l (II.21) p avec R = l/e un rapport de forme. Le courant critique en champ propre Ic (0) correspond à la valeur limite des courants d’écrantages déterminée par le désappariemment des paires de Cooper Idep ≃ Jdep .e.λ⊥ . Pour les systèmes “étroits” où la largeur l est comparable à λ⊥ (l . λ⊥ ), le champ s’exprime sous la forme 58 : BcBS = µ0 Ic (0).β , l (II.22) avec β = 1/(2π) + λ⊥ /l. Pour des champs Ba bien inférieurs à la barrière 1 a de surface56 ( BBBS . 1+2R ), la dépendance du courant critique Ictot (Ba ) est c 56. M. Benkraouda et J. Clem, 1998 Phys. Rev. B 58 15103 57. M.Y. Kupriyanov et K.K. Likharev, 1974 Fiz. Tverd. Tela. 16 2829 (1975 Sov. Phys. Solid State 16 1835) 58. B.L.T. Plourde et al., 2001 Phys. Rev. B 64 145031 69 linéaire : Ba Ictot = 1 − BS (R + 1) (limite “large”) Ic (0) Bc Ba Ictot = 1 − BS Ic (0) Bc (II.23) (limite “étroite”) (II.24) Dans un premier temps, il est supposé que les ponts Au/Nb/Au sont en “limite large”, ce qui est vérifié si λ n’est pas trop affecté par l’effet de proximité (pour le film de Nb : λ⊥ (0) ≃ 100nm). Cette hypothèse posée, les mesures Ictot (0) en champ propre permettent de déduire la variation du champ critique associé à la barrière de surface BcBS en fonction de la température (cf. formule II.23). 1 20 a.X+b 0,4 0,2 (mT) 10 c BS c tot I 15 B courant de bord : "état Meissner" 0,6 c / I (0) 0,8 8,5 µm 6,5 µm 5 0 5 6 7 8 9 T(K) - 0,46 k.X 7K 0 0,01 0,1 B/B BS 1 10 c Fig. II.21 – Dépendance en champ magnétique de la densité de courant critique Ictot pour un pont Au/N b/Au de 8, 5 µm de large. En insert est présenté la variation en température du champ critique associé à la barrière de Bean Livingston. La ligne pointillée représente la fonction 32, 4.(1 − t 2 ) L’insert de la figure II.21 montre cette dépendance pour les trois échantillons Au/Nb/Au. Pour des surface idéales, ce champ BcBS approche la valeur du champ critique thermodynamique Bc , avec une dépendance en température de la forme56 1 − (T /Tc )2 . Cette forme de variation s’ajuste de manière convaincante avec les résultats expérimentaux avec comme unique paramètre ajustable BcBS (T = 0) ≃ 32, 4 mT . D’autre part, la relation linéaire (équation II.23) entre le courant Ictot et Ba s’accorde parfaitement avec les mesures expérimentales pour Ba < 0, 1BcBS , comme le montre la figure II.21. Cette 70 zone de champ magnétique correspond donc bien à un régime sans vortex à l’intérieur du film (état Meissner) qui, par effet de la barrière de surface, est prolongé jusqu’à environ 0, 1BcBS . La barrière de surface dans les tricouches est maximum (de l’ordre du champ critique thermodynamique) et domine à bas champ entièrement le courant critique sans influence du piégeage de volume. BcBS A plus haut champ magnétique (Ba > 1+2R ), les vortex pénètrent dans le matériau et sont poussés vers le centre par les courants d’écrantages circulant aux bords. En l’absence de piégeage de volume fort, les vortex se distribuent sous la forme d’un “dôme” dont le maximum est au centre du film. Lorsqu’un courant de transport parcourt le film, cette distribution de vortex se décale vers le bord où le courant est le plus faible et diminue la barrière de surface à l’autre bord. La dépendance Ictot (Ba ) dans ce régime est caculée de forme hyperbolique Ictot ∝ B1a que ce soit en limite “large”56,57 59 ou “étroite”58 . Dans le cas présent, la variation de Ictot (Ba ) est plutôt de la forme Ba−0,5 (voir figure II.21),montrant l’influence dominante du piégeage de volume, qui est fort dans ces échantillons (Jc ≃ qqs 106A/cm2 ). Cette forme en Ic ∝ H −0,5 a été déja été observée dans de nombreux supraconducteurs et peut être attribués à de multiples contributions : piégeages de plusieurs vortex par une dislocation, par des surfaces 60 . . . 1mT 2mT 5mT 10mT 20mT 0.02 tot (A ) 0.016 I c 0.012 0.008 0.004 6 7 8 9 10 11 12 l (µm) Fig. II.22 – Courant critique en fonction de la largeur des ponts Au/N b/Au pour différents champs magnétiques. L’autre fait marquant de ces mesures, et qui reste pour l’heure inexpliqué est 59. L. Burlachov et al., 1996 Phys. Rev. B 54 6750 60. pour une présentation détaillée : S. Sanfilippo, 1997 thèse Grenoble I (Joseph Fourier) 71 l’augmentation du courant critique Ictot lorsque la largeur de l’échantillon diminue (cf. figure II.22). En d’autres termes plus l’échantillon est étroit et plus la capacité de transporter du courant sans dissipation est important. Alors que plusieurs études58 61 , 62 dans le passé ont relevées une augmentation de Jctot quand la largeur diminue, aucune d’entre elles n’a cependant raportées un tel phénomène. II.5.3 barrière de surface et asymétrie du courant critique Après avoir mis en évidence l’existence et l’influence de la barrière de surface sur les propriétés de transport dans des tricouches Au/Nb/Au avec des bords droits, il est succinctement présenté ici, de manière descriptive, les premiers résultats sur une asymétrie des bords d’un pont. Pour se faire des tricouches Au/Nb/Au ont été préparées sous la forme de microponts de largeur maximale 10 µm et dont l’un des bords est sinusoı̈dal avec une amplitude de 2 µm (cf. figure II.19). Cette asymétrie des bords et donc des barrières BS s’est reportée sur la pénétration et la dynamique des vortex dans les films Au/Nb/Au. Pour des champs magnétiques inférieurs à BcBS , le courant critique est trouvé − → asymétrique selon le sens dans lequel la force est dirigée force FI (voir figure II.23). La pénétration des vortex du côté ondulé est retardée à des plus hautes forces et se traduit par une augmentation du courant critique. La figure II.23 montre cette asymétrie du courant critique qui peut atteindre jusqu’à 50% + −Ic− ( IIc+ ≃0,5 ) et définit une différence ∆I = Ic+ − Ic− . La vérification d’un sens pric vilégié pour l’entrée des vortex est confirmée en inversant le sens du champ magnétique : le sens du courant critique le plus élevé est ainsi inversé. Paradoxalement, l’observation d’un renforçement du courant critique lorsque les vortex entrent du côté ondulé semble indiquer que d’autres mécanismes que la barrière de surface régissent Ic et l’entrée/sortie des vortex. En effet, la barrière de Bean Livingston est attendue être plus faible du côté ondulé. Au contraire, il est assez facile d’imaginer intuitivement que l’effet de “contamination” avec un réseau de vortex plus désordonné du côté ondulé favorise l’ancrage des lignes de flux. D’autre part, il est observé que le courant critique le plus faible de ces systèmes (I − sur la figure II.23) correspond au courant critique d’une même tricouche à bords droits de 9µm de largeur alors que le courant critique le plus élevé (I + ) est égal à Ic d’un film “droit” de largeur 10 µm soit la largeur maximum du film “ondulé”. La figure II.23 montre aussi que dans le sens de 61. S. Tahara et al., 1990 Phys. Rev. B 41 11203 62. H.C. Freyhart et al., 2000 Phys. Rev. B 62 3453 72 2 10-4 T=6,4K H=2mT les vortex entrent du coté ondulé -2 10-4 40 20 V ( µV ) V (V) 0 100 -4 10-4 10 µV 0 -20 ∆I I -40 -6 10-4 I Ic - Ic 19 20 21 22 I (mA) + 3 10-2 18 + c c 17 -8 10-4 2,6 10-2 - 3,4 10-2 3,8 10-2 I (A) Fig. II.23 – Courbes V (I) pour deux sens d’injection du courant dans une tricouche Au/N b/Au dont l’un des bords est ondulé. L’insert détaille l’apparition de la dissipation. la force FI favorisant le mouvement des vortex, il est possible d’atteindre un régime de flux flow (partie linéaire de V (I)) alors que pour le sens opposé du courant les vortex sont piégés et ne pénètrent pas le matériau. D’autre part, cette importante asymétrie de Ic est observée pour un système caractérisé par des densités de courant critique élevées et par des effets de surfaces. Toutefois, un tel phénomène n’est pas retrouvé pour des films de niobium préparés dans les mêmes conditions et avec des flancs ondulés, indiquant ainsi le rôle certainement majeur des effets de surface et de proximité sur la barrière de surface et la dynamique des vortex. Ces effets très importants sont en cours d’analyse au moment de la rédaction de ce manuscrit. 73 II.6 Perspectives Cette étude de la dynamique des vortex à faibles et hautes vitesses dans un système modèle de supraconducteur a permis de mieux comprendre l’origine de la dissipation et la transition vers l’état normal. De nombreuses questions restent cependant en suspend et plusieurs perspectives sont envisageabes. L’une des premières serait peut être de confirmer la prédominance de la surface sur le courant critique comme semble l’indiquer les mesures présentées dans ce chapitre. Pour se faire, il serait intéressant d’étudier plus en détail l’influence majeur de la surface sur le piégeage des vortex en comparant, par exemples, les propriétés de transport et magnétiques de films préparés avec différents états de surface : géometries de surface différentes, mise en contact avec d’autres matériaux. . . La vérification de cette hypothèse pourrait alors diriger le développement de futurs conducteurs souples vers des structures multicouches avec des surfaces nombreuses. Une autre perspective intéressante serait également l’étude des propriétés de la transition vers l’état normal dans des structures mutlicouches S/M/S/M... Dans de tels systèmes, le métal pourrait offrir de nouveaux état énergétiques de sortie aux quasiparticules éjectées du coeur. P. Butaud et B. Canals ont calculés qu’un tel mécanisme devrait être associé à un “saut de tension” vers un état dissipatif intermédiaire. De nouvelles expériences permettraient de confirmer ou non cette prédiction théorique. Enfin, de nombreuses questions restent ouvertes sur l’influence des bords sur les courants critiques. Pour y répondre une étude magnéto-optique serait certainement très fructueuse et permettrait de mieux comprendre l’état du réseau de vortex proche des bords préparés sous différentes géometries (triangulaire, carré. . . ). L’effet de la largeur et des effets de bords sur le courant critique dans des films de niobium seul et dans d’autres systèmes tels que des films Y BaCuO/Au est envisagée à moyen terme. La confirmation de ces effets permettraient d’envisager de nouvelles applications comme par exemple des diodes supraconductrices à seuil variable. 74 Chapitre III Des bicouches YBaCuO/Au comme limiteurs de courant “Trente rayons convergent au moyeu Mais c’est justement là où il n’y a rien qu’est l’utilité du char On façonne l’argile pour faire un récipient Mais c’est là où il n’y a rien qu’est l’utilité du récipient On perce portes et fenêtres pour faire une chambre Mais c’est là où il n’y a rien qu’est l’utilité de la chambre Ainsi l’il-y-a présente des commodités que l’il-n’y-a pas transforme en utilité” (extrait du texte Laozi, auteur inconnu) L’autre facette du travail de cette thèse est l’utilisation de couches minces supraconductrices d’YBaCuO comme “superfusibles” permanents : les limiteurs supraconducteurs de courant. Pour cet objectif technologique, la transition magnéto-thermique de bicouches YBaCuO/métal en champ propre est étudiée et des performances de limitation originales, à l’heure de la rédaction, sont présentées. Ce travail s’inscrit en partie dans le cadre d’un partenariat avec la société Schneider Electric et s’attache à poursuivre une étude déjà engagée sur l’évaluation du potentiel des films SHTC comme limiteurs de courant. 75 III.1 Limiteur supraconducteur de courant de défaut : un “superfusible” permanent Avant d’exposer les résultats expérimentaux obtenus et leur implications, le concept de la limitation du courant et les caractéristiques des films supraconducteurs utilisés sont presentés dans cette section. III.1.1 La limitation du courant : un concept innovant Son prinicipe, énoncé pour la première fois en 1978 par K.E. Gray et D.E. Fowler 1 , est simple et astucieux : “la transition de l’état supraconducteur vers l’état normal résistif peut être employée pour limiter l’élévation du courant en cas de défaut et ainsi protéger un réseau électrique”. a) un fonctionnement en deux régimes Le fonctionnement d’un limiteur supraconducteur de courant de défaut (LSC) se divise en deux séquences distinctes. En régime de fonctionnement normal du réseau, un courant inférieur à la valeur nominale (assignée) In circule dans le circuit électrique et le LSC est dans son état supraconducteur. Cette transparence est “parfaite” dans le cas d’un réseau de courant continu (DC) mais est limitée en régime alternatif (AC) par l’inductance inhérente au dispositif et les pertes dissipatives liées à l’hystérésis magnétique des matériaux supraconducteurs. Lorsqu’un défaut (tel qu’un court circuit) apparaı̂t sur ce réseau électrique, le courant dans le circuit dépasse la valeur critique J ∗ d’emballement du LSC qui transite alors vers son état résistif normal. Ce passage restaure une impédance dans le réseau électrique et permet une limitation du courant de défaut à une valeur maximale Ilim : un exemple de courbe de limitation est montré en Figure III.1 et résume ce concept. Un limiteur de courant s’assimile donc, en quelque sorte, à un “superfusible” permanent qui s’appuie sur la transition S/N pour limiter un courant de défaut sans s’auto-détruire. Durant cette thèse, il a également été imaginé, puis vérifié expérimentalement, que de tels systèmes sont aptes à fonctionner de façon autonome dans le cas de sur-intensités transitoires : une transition inverse N/S d’un LSC est en effet possible sous courant inférieur à Ic (10µV /cm). Ce concept sera détaillé par la suite. Bien que les systèmes LSC puissent être envisagés pour protéger tout type de réseaux électriques, c’est dans la protection des réseaux moyenne et par1. K.E. Gray et D.E. Fowler, 1978 Jnl of Apl. Phys. 49 2546 76 2000 2 * I 1.5 1500 max I 1000 lim 500 I/I 0.5 0 0 E ( V/m ) établissement du court-circuit (40 ms) c 1 -500 -0.5 max I -1000 n -1 -1500 40 50 60 70 80 90 t (ms) Fig. III.1 – Evolution temporelle du courant normalisé I/I c et du champ électrique durant une expérience de limitation du courant AC avec une bicouche YBaCuO/Au. Le pont testé est large de 3 mm et long de 15 mm. A I/I c ≃ 1, 5 le film transite vers l’état normal et limite rapidement le courant à environ I n en développant un champ électrique de l’ordre de 1kV /m ticulièrement haute tension AC qu’ils sont aujourd’hui les plus attendus. En effet, ces réseaux se doivent de posséder, pour être réactifs à la consommation instantanée, une puissance de court circuit Pcc qui est d’autant plus grande que les réseaux sont interconnectés. Cependant cette puissance Pcc détermine directement l’élévation du courant en cas de défaut : plus sa valeur est grande et plus le courant de défaut est important. Ce dernier peut atteindre dans les cas les plus défavorables jusqu’à 30 fois le courant nominal In pour le réseau français. La coupure rapide de tels courants est extrêmement problématique, et même impossible en haute tension, avec les organes de coupure actuels. En effet, les systèmes de protection en haute tension s’appuient sur un passage par zéro du courant et sont le plus souvent inefficaces pendant les premières périodes du défaut. Il est donc nécessaire de surdimensionner les composants de puissance (lignes, transformateurs, moteurs. . . ) afin de diminuer les fortes contraintes thermo-mécaniques qu’ils subissent lors des sur-courants. Ce surdimensionnement est réalisé pour une valeur maximale de courant de court-circuit. En limitant “immédiatement” les courants de défaut à des valeurs Ilim bien plus faibles (par exemple Ilim ≈ 2.Ic ), les LSC diminuent les contraintes, principalement mécaniques (temps de limitation très courts), subies par les appareils et offrent de nombreuses perspectives 2 : plus grande interconnexion, stabilité et efficacité des réseaux électriques. D’autre part, 2. W. Paul et al., 2001 Physica C 354 27 77 les limiteurs de courant sont très intéressants dans le développement de dispositifs supraconducteurs de puissance pour la protection par exemple des câbles supraconducteurs ou des transformateurs. . . b) un bref cahier des charges Le développement d’un limiteur supraconducteur de courant de défaut nécessite la réunion dans un même dispositif des propriétés suivantes : transparence en régime sans défaut : le dispositif doit consommer trés peu d’énergie jusqu’au régime nominal I = In . Ce critère permet de dimensionner le limiteur de façon à ce qu’il soit très faiblement dissipatif 3 jusqu’au courant nominal. Alors que In est théoriquement égal au courant critique du supraconducteur pour un réseau de courant DC, il est limité en régime alternatif par un niveau tolérable des pertes hystérétiques. D’autre part, le LSC doit être capable de supporter des régimes de défaut transitoires, tel que l’enclenchement d’un transformateur, sans entraı̂ner d’ouverture indésirable du circuit. Une solution à cette contrainte est proposée et vérifiée dans ce chapitre. forte impédance en mode de défaut : c’est l’une des propriétés essentielles du limiteur. Elle détermine l’efficacité du LSC et la puissance de coupure que celui-ci peut absorber lors de son déclenchement, et relie intimement les contraintes du matériau et l’aspect réseau. L’un des impératifs majeurs est que tout le volume du supraconducteur transite à l’état normal lors d’un défaut afin d’exploiter tout le potentiel du matériau et de le prévenir contre des destructions locales. En effet, le problème majeur des limiteurs supraconducteurs est le phénomène de transition localisée dues à l’inhomogéneité de Jc dans les matériaux SHTC réels. Lors d’un courant surcritique I > Ic , les zones de plus faibles Jc vont transiter les premières et subir une élévation de leur température. Due à la faible diffusivité thermique des SHTC, la propagation de ces régions chaudes est lente et ne permet pas une transition globale du LSC. Le courant de limitation restera donc à un niveau élevé favorisant encore l’échauffement des zones normales : c’est le phénomène de “point chaud” 4 (hots spots) qui conduit généralement à une destruction du matériau. Pour s’en affranchir, il est nécessaire de protéger le matériau en homogéneisant au maximum la transition, et en réduisant la puissance dissipée au niveau du point chaud Pspot ≃ ρn Jc2 (avec ρn la 3. selon une étude du Conseil International des Grands Réseaux Electriques (www.cigre.org), les pertes doivent être, pour un positionnement en série du limiteur, inférieures à 0, 025% 4. A.A. Pukhov, 1997 Super. Sci. Techno. 10 547 78 résistivité du matériau à l’état normal) afin de limiter son échauffement ∆Tspot (∆Tspot ∝ Pspot ). Une solution possible est alors de diminuer la densité de courant critique Jc des supraconducteurs, par exemple en augmentant la température de travail 5 ou en appliquant un champ magnétique 6 . Ces techniques sont utilisées, avec un succès relatif, dans des échantillons “massifs” mais restreignent les performances de limitation. Une autre voie possible est de réduire la résistivité du matériau à l’état normal ρn , par exemple avec l’adjonction d’un shunt résistif en parallèle avec le supraconducteur. Cette protection se réalise aisément dans les technologies “couche mince” en élaborant des structures bicouches supraconducteur/métal. En particulier, il est montré dans ce mémoire que des bicouches YBaCuO/Au sont d’excellentes candidates pour le développement des LSC avec leur important Jc et leur transition homogène sous courant de transport I > Ic . grande réactivité : lors d’un défaut, la limitation du courant doit intervenir en moins d’une milliseconde 7 afin d’assurer une protection active. Cela impose au supraconducteur de transiter vers son état normal de manière rapide et homogène. robustesse : la durée d’un limiteur est estimée à environ dix ans. Pendant cette période, ce dispositif est amené à limiter quelques dizaines de fois des courants de défauts dont les durées peuvent varier de quelques périodes du signal AC à plus d’une seconde selon l’emplacement du LSC dans le réseau et la nature du défaut 8 . Les limiteurs doivent donc être robustes, fiables et atteindre un prix concurrentiel pour leur commercialisation (au plus 10 fois le prix d’un disjoncteur de même puissance). L’étude menée s’attache à reprendre certains des différents points énoncés cidessus, et à les confronter avec de nouvelles expériences. La caractérisation et la compréhension du comportement d’un film SHTC/métal soumis à des courants sur-critiques ainsi que ses implications technologiques servent de fil conducteur à ce chapitre. 5. E. Floch et al., 2001 Cryogenics 41 531 6. D. Ito et al., 1999 IEEE Trans. Apl. Super. 9 1312 7. C. Verhaege et al., 1996 Cryogenics 36 521 8. C. Prévé, “Protection des réseaux”, éditions Hermès ISBN : 2-86601-688-2 79 III.1.2 Caractéristiques des bicouches YBaCuO/métal De nombreuses équipes de recherche s’appliquent à étudier le comportement et leur capacité à limiter le courant des couches minces supraconductrices d’Y BaCuO. Le premier atout de la structure en couche mince est la présence d’un substrat, de préférence très bon conducteur thermique. Celui-ci a un double intérêt. En premier lieu, il représente un efficace “shunt thermique” 9 qui favorise la propagation des zones résistives et augmente ainsi la vitesse de transition du supraconducteur. De plus, il joue également “le rôle d’éponge thermique” 10 qui permet de stabiliser la couche supraconductrice contre d’accidentelles transitions pour des courants sous-critiques (I < Ic ), et absorbe la puissance générée lorsque le SHTC est dans un régime hautement dissipatif (mode de limitation). Ce dernier point est extrêmement important pour la protection des films minces et la récupération de leurs propriétés supraconductrices après un défaut. Un autre élement clef de l’emploi de films SHTC comme LSC est l’adjonction en parallèle d’une couche métallique se comportant comme un “shunt électrique”. Celle-ci est une protection11 supplémentaire lors d’un régime de limitation. Elle permet de lutter contre les “hot spots” en limitant les champs électriques développés et en dérivant une partie du courant. Dans une moindre mesure, elle aide aussi à homogéneiser la transition en diffusant plus rapidement les points chauds. Certaines études menées par le groupe de H. Kinder 12 semblent indiquer que la présence de cette couche métallique ne serait pas indispensable au développement d’un futur dispositif LSC en couche mince. Toutefois, l’auteur insiste sur le fait qu’il n’a jamais été réussi, durant cette thèse, à reproduire les performances des bicouches SHTC/métal, comparables en niveau et en durée de limitation, avec des films d’YBaCuO seuls. D’autre part, il est intéressant de noter que les prototypes développés par le groupe de recherche de Siemens Gmbh utilisent des films protégés par une couche d’or, montrant ainsi que ce débat n’est pas clos. L’impression personnelle dans cette thèse est que l’addition d’un shunt métallique restera nécessaire au développement de futur LSC du fait de l’inhomogéneité intrinsèque de toute couche mince réelle. Le choix du matériau SHTC s’est quant à lui assez naturellement porté sur le composé YBaCuO, qui représente actuellement le meilleur compromis entre des fortes propriétés de transport et une technologie d’élaboration mature. La fabrication des films d’YBaCuO est relativement bien maı̂trisée sur des substrats monocristallins avec des dépôts de plusieurs centaines de nanomètres d’épaisseur et des densités de courant critique de l’ordre de 1 à 3 106 A/cm2 : 9. N.A. Buznikov, A.A. Punkov et V.N. Skokov, 1998 Cryogenics 38 277 10. C. Levillain, P. Manuel et P.G. Therond, 1994 Cryogenics 34 69 11. M. Lindmayer et H. Mosenbach, 1997 IEEE Trans. Appl. Super. 7 1029 12. A. Heinrich et al., 1999 IEEE Trans. Appl. Super. 9 660 80 soit pour une couche de 1 cm de large et 1 µm d’épaisseur, la capacité de transporter sans dissipation entre 100 et 300 ampères. L’autre point en faveur du composé YBaCuO est la perspective à court ou moyen terme de diminuer sensiblement son coût de production avec le développement des “coated conductors”. Deux sources principales de bicouches YBaCuO/métal ont été utilisées pour les expériences : des films minces Y BaCuO/Ag déposés par pulvérisation cathodique continue dans le bâti de la société Schneider Electric 13 . Les substrats monocristallins sont du SrT iO3 orientés selon la direction [1,0,0] avec des surfaces typiques de 20×20 mm2 . Les épaisseurs des deux couches sont variables selon les dépôts et seront précisées. Les densités de courant critique Jc pour un critère de tension arbitraire de 1µV /cm, mesurées par transport à 77, 4 K et en champ propre, sont comprises entre 0, 2 et 1, 9 MA/cm2 . des bicouches Y BaCuO/Au provenant d’une source industrielle. Leur croissance épitaxiale est obtenue par une méthode de co-évaporation thermique 14 sur des substrats monocristallins de saphir (Al2 O3 ) orientés selon [1,-1,0,2] et d’environ 52 mm de diamètre. Une couche tampon de CeO2 permet d’adapter les paramètres de maille du substrat et les coefficients de dilatation à ceux du supraconducteur. La couche d’or est déposée in situ. Les épaisseurs des couches d’YBaCuO et d’or sont respectivement de 300 nm et 150 nm. La densité de courant critique Jc (1µV /cm) à 77 K varie de 3, 2 MA/cm2 au centre des “wafers” à 2, 7 MA/cm2 dans les zones proches des bords. Les échantillons ont été achetés à la société Theva GmbH 15 qui fabrique de manière reproductible des couches minces SHTC de haute qualité avec une maı̂trise reconnue internationalement. Leur prix est de l’ordre de 800 euros pour un “wafer” de 2 pouces (≃ 50mm de diamètre), dont 20% est dû au substrat. Les échantillons sont “sculptés” par photolithogravure sous des géometries de ponts ou multi ponts avec des largeurs w toujours supérieures à 2λ (λ, la longueur de London) : w >> 2λ. Des exemples d’échantillons dans différentes géometries sont montrés dans la Figure III.2. Toutes les mesures de limitation de courant présentées dans ce mémoire sont 13. l’auteur remercie Carbone Laurent pour son aide lors des dépôts et son approvisionement en échantillons. 14. W. Prusseit, S. Furtner et R. Nemetschek, 2000 Inst. Phys. Conf. Ser 167 1 15. www.theva.com 81 Fig. III.2 – Des échantillons d’YBaCuO/Au dans différentes géometries de ponts pleins avec leur contacts de courant et tension. L’image de gauche présente trois ponts de 3,2 mm de largeur. L’échantillon de droite utilise toute la longueur d’un “wafer” . Cette configuration est celle utilisée pour les expériences de limitation de courant AC et DC. accomplies sur les bicouches YBaCuO/Au dont les propriétés sont résumées dans le tableau III.1. Les valeurs de résistivité pour les couches d’YBaCuO et d’or sont déduites de mesures de résistance en fonction de la température R(T ) par une “méthode de 4 fils” sur un pont de 3 mm de long et 100 µm de large, avant et après gravure de la couche d’or. La résistance totale d’une bicouche est environ 140 fois plus faible que celle d’un film d’YBaCuO seul, ce qui diminue considérablement les performances de limitation mais permet une protection efficace des couches grâce à un courant majoritairement dérivé dans la couche métallique durant le régime de limitation. Il est certainement possible d’augmenter le rapport d’épaisseur YBaCuO/Au afin de développer des champs électriques plus élevés que ceux qui seront montrés. Une telle étude n’a pas été menée mais est nécessaire avant la conception d’un prototype de moyenne puissance. Tc (K) pour ∆Tc (K) R=0 89,6 ≈2 ρY BCO (92K) ρAu (92K) (µΩ.cm) (µΩ.cm) 95 0, 34 RY BCO /RAu Jc à 93 K (MA/cm2 ) ≈ 70 2, 8 − 3, 2 Tab. III.1 – Propriétés générales des films d’YBaCuO/Au. Les valeurs sont issues de mesures de transport en champ propre. La valeur de la résistivité du film d’or est proche de celle trouvée à l’état massif, indiquant une structure cristalline de qualité. Les contacts ont été réalisés avec une laque d’argent pour les mesures de tension et avec une pâte d’indium recouverte de laque d’argent pour les amenées de courant. De plus les expériences sont menées, sauf indication contraire, dans un bain d’azote liquide à 77 K. 82 III.2 Transition vers l’état dissipatif sous faibles et fortes densités de courant La phénoménologie de la transition S/N est investie et corrélée avec les paramètres caractéristiques d’un limiteur de courant : dynamique et courant de déclenchement, courant de limitation et effets thermiques. A cette fin, il est choisi d’étudier les caractèristiques générales de la transition sous courant dans toute la plage de dissipation menant à l’état normal dans les bicouches YBCO/métal. Dans un second temps, l’influence de la “vitesse” d’injection du courant sur la transition est spécifiquement explorée afin de mieux comprendre les mécanismes de dissipation opérants. En variant la “vitesse” d’injection du courant, il est effectivement possible de moduler l’importance des effets thermiques et de déduire leur rôle sur la transition dissipative. L’origine thermique ou magnétique du passage vers l’état normal est également débattue. III.2.1 dissipation en champ propre De très nombreuses recherches sont, ou ont été, menées sur les mécanismes de dissipation dans les films minces supraconducteurs soumis à un champ magnétique Ba . Dans ce cas, la dissipation, comme l’illustre le second chapitre, est intimement reliée au mouvement des vortex. Toutefois, la transition S/N en champ propre conduite par le courant reste “peu et mal connue” et de nombreuses questions restent en suspend : à quelles lois obéit la dissipation dans un film supraconducteur soumis, en champ propre, à un courant surcritique I > Ic ? Quelle est l’origine de cette dissipation? Dans ce contexte, “l’état physique” d’un film mince soumis à un courant de transport en champ propre est tout d’abord brièvement discuté. a) champ propre : une situation complexe Il est important de préciser immédiatement qu’aucun modèle, à la connaissance de l’auteur, ne donne une description correcte des mécanismes de dissipation en champ propre jusqu’au passage à l’état normal dans les films SHTC. Dans ce contexte, il est fait ici un court résumé des connaissances sur la dissipation en champ propre. Seul le cas des couches supraconductrices sous forme de ponts avec des largeurs 2w bien supérieures à 2λ est traité. La répartition du courant et des lignes de champ magnétique est un point de départ nécessaire et essentiel à une bonne compréhension de la problématique de la dissipation en champ propre (Ba = 0). A cette fin, il est judicieux de 83 se référer à deux travaux passés complémentaires décrivant l’état “non dissipatif limite” pour I . Ic . Le premier est une étude théorique menée par E. Zeldov et ses collaborateurs 16 qui calcule la distribution de la densité de courant J et du champ B. Leur modèle résulte de deux hypothèses principales. Il est tout d’abord supposé que Jc est indépendant de B, ce qui peut paraı̂tre assez raisonnable dans le cas ou le champ propre dû au courant reste faible ; d’autre part, la barrière et le piégeage de surface sont négligés, ce qui pourrait être contesté dans le cadre d’effets de surface prépondérants. Toutefois, des mesures magnéto-optiques 17 conduites par T.H. Johansen et al. ont confirmées les profils théoriques de courant J et de champ B donnés par E. Zeldov et al.. Cette étude visualise dans un film d’Y BaCuO la distribution du champ magnétique et en déduit la densité J dans le film pour des courants sous-critiques I < Ic . Fig. III.3 – Distribution du courant et du champ magnétique déduite de mesures magnéto-optiques dans un film d’YBaCuO traversé par un courant I. Conditions expérimentales : Ha = 0, T = 15K et I/Ic = 0, 53. Le schéma (a) montre la géometrie de mesure. Le profil de la valeur absolue du champ perpendiculaire à la surface Bz (x) produit par le courant à une distance de z = 8µm, et celui de la densité J sont respectivement décrit en figures (b) et (c) et comparé avec le modèle théorique de E. Zeldov et al.. La légère assymétrie du profil de B z et de J entre le bord droit et gauche est due à un champ additionnel parasite associé aux amenées de courant. La Figure III.3 expose un exemple de ces résultats pour une température de 15 K et un courant I ∼ = 0, 53Ic . Dans la géometrie spécifique des films minces, le courant de transport I génère un champ propre qui s’enroule autour de l’échantillon et produit une discontinuité dans le champ B entre le dessus et le dessous du film. Le champ aux bords Bbord prend la formep d’un pic étroit dont la valeur maximale s’exprime par la relation Bbord ≃ 2I/ e.w/2. Lorsque le champ Bbord excède Hc1 , les vortex pénètre le film jusqu’à une profondeur 16. E. Zeldov et al., 1994 Phys. Rev. B 49 9802 17. M.E. Gaevski et al., 1999 Phys. Rev. B 59 9655 84 déterminée par Jc . La figure III.3b montre que la pénétration expérimentale de B est un peu plus importante que la prédiction théorique. Cette différence est attribuable selon les auteurs à des mécanismes de “flux creep” par lesquels une petite quantité de vortex est “poussée” vers le centre de l’échantillon où J < Jc . De plus, la région où Bz = 0 transporte la majorité du courant avec une valeur moyenne inférieure à Jc (figure III.3c). Cette situation est très différente de celle des géometries “massives” où le champ propre est en général trop faible pour que l’échantillon soit totalement pénetré par B et où une partie du volume ne transporte donc pas de courant. Ensuite, quand le courant I tend vers Ic , la distribution du courant s’approche d’une situation uniforme où J = Jc , et la zone de champ nul s’amoindrit jusqu’à disparaı̂tre. Au delà du courant critique, les vortex crées aux bords de l’échantillon se meuvent alors, sous la force de Lorentz, vers le centre du film où ils s’annihilent mutuellement. Cette dynamique des vortex conduit à l’apparition d’une résistance dans le film qui dépend du piégeage et de la valeur du courant. Aslamazov L.G. et Lemnitski S.V. 18 ont théorisés la forme de cette dissipation dans les films supraconducteurs pour des températures proches de Tc . Ils déduisent la forme de la caractéristique “courant-tension” (J,E) en fonction de l’intensité du courant et du piégeage. La relation (J,E) est trouvée linéaire, comme dans un régime de “flux flow”, en l’absence de piégeage. Au contraire, pour une distribution aléatoire d’inhomogéneités et pour des courants J >> Jc , la vitesse des vortex est trouvée proportionnelle au courant de transport avec la relation (J,E) non linéaire suivante : E E0 J − Jc .ln( ) = avec E0 ∝ (J/w)2. (III.1) E0 E Jc Ils trouvent également que ce régime faiblement dissipatif se conclut par un brusque saut vers l’état normal pour un courant I ∗ . A la connaissance de l’auteur, ce travail n’a jamais été confronté avec les expériences menées dans les films SHTC 19 où la dissipation est généralement décrite sous forme de lois de puissance E ∝ J n . Ces caractéristiques non linéaires (J,E) sont interprétées 20 , 21 comme la signature d’un mouvement continu et libre de vortex/antivortex dans les plans “supraconducteurs”. Dans ce régime de “flux flow”, le champ électrique E est formulé par : E ∝ J(J − Jc )n(T )−1 avec n(T ) ∝ 1/T (III.2) Pour J >> Jc , cette relation se réduit à une loi de puissance E ∝ J n(T ) où le coefficient n(T ) caractérise l’énergie d’activation des vortex. Un tel comportement est rapporté à de nombreuses reprises dans la littérature pour des films d’YBaCuO22 , avec une décroissance de n(T ) en fonction de la température 18. L.G. Aslamazov et S.V. Lemnitskii, 1983 Sov. Phys. JETP 6 1291 19. M. Ban et al., 1989 Phys. Rev. B 40 4419 20. H.J. Jensen et P. Minnhagen, 1991 Phys. Rev. Let. 66 1630 21. K.H. Fisher, 1992 Physica C 193 401 22. M. Lindemayer et H. Mosebach, 1999 IEEE Tran. on Appl. Super. 9 1369 85 qui n’est cependant pas proportionnelle 23 à 1/T . L’interprétation des lois de puissances restant donc encore controversée et ouverte : phénomènes thermiques, écoulement libre de vortex, “flux creep”, diffusion du courant. . . b) courbes expérimentales (E,J) : des lois de puissance omniprésentes Afin de caractériser le comportement sous courant d’un limiteur de courant, la dissipation dans l’état supraconducteur est explorée. De l’apparition de la dissipation jusqu’à la disparition de l’état supraconducteur, les caractéristiques (J,E) de plus d’une quinzaine d’échantillons de géométries variables sont relevées. Le critère initial de l’état dissipatif est arbitrairement déterminé, par la résolution expérimentale, à quelques µV /cm. A l’autre extrême de l’échelle de dissipation, la fin de l’état supraconducteur survient communément à un niveau de champ électrique de l’ordre de 50 V /m. Pour étudier les prémices de l’état “supraconducteur dissipatif” jusqu’à sa disparition, il est donc nécessaire de réaliser des mesures sur plus de 5 décades de niveaux de tension. L’exploration de cette large gamme est le plus souvent obtenue par une succession de rampes de courant d’intensité croissante : pour une même vitesse de rampe, les seuils de courant et de tension effectifs sont progressivement augmentés. Cette méthode permet de préserver les échantillons et d’améliorer la précision des mesures en utilisant au maximum la résolution expérimentale. Un exemple de mesure de la transition S/N dans une bicouche Y BaCuO/Au soumise à une rampe de courant est présentée en Figure III.4. Après un régime dissipatif dans l’état supraconducteur, le film transite brutalement vers un état hautement dissipatif pour des valeurs critiques E ∗ et J ∗ et cela alors que le courant est encore majoritairement conduit par la couche supraconductrice (IY BCO /IAu ≈ 9). Ce saut semble donc correspondre à une transition vers l’état normal d’une partie du volume supraconducteur. En effet, la valeur de la résistance immédiatement après le saut est de l’ordre de celle de la couche d’or indiquant que le courant serait totalement dérivé dans le film métallique. Il est à noter que les résultats présenté ici sont rencontrés dans toutes les géométries de ponts testés. La forme de la dissipation jusqu’à des champs électriques de l’ordre de 10 V /m et pour lesquels le courant est majoritairement transporté par la couche supraconductrice, est tout d’abord confrontée avec les deux relations théoriques III.1 et III.2. Alors que la formule III.1 proposée par Aslamazov L.G. et Lemnitski S.V. ne décrit que très partiellement le comportement dissipatif des films, le modèle d’écoulement libre de vortex 2D (III.2) s’avère en bon accord avec les caractéristiques (E,J), comme l’illustre la Figure III.5a. Pour confirmation, la densité de courant critique Jc (≈ 2, 9 MA/cm2 ) choisie 23. S.K. Gupta et al., 1993 Physica C 206 335 86 6 10 6 vitesse de la rampe : 2000 A/s 1000 100 6 2 4 10 E* 2 10 10 6 0 0 E (V/m) J ( A/cm ) J* 1 10 t (ms) 20 30 Fig. III.4 – Exemple d’expérience de rampe de courant : évolution temporelle de J(t) et de E(t) dans une bicouche Y BaCuO/Au de 3 mm de largeur et 15 mm de longueur. La vitesse de la rampe de courant est d’environ 2000 A/s. comme un paramètre d’ajustement, se révèle très proche de la valeur de Jc mesurée en transport. Tous ces résultats sont en cohérence avec une dissipation gouvernée par un régime d’écoulement visqueux de vortex 2D (flux flow). état normal 1000 10 100 1 0.1 11,2 10 J s E(V/m) 10 modèle de "flux flow" P ( W/cm ) E ( V/m ) 100 régime II 1 1 2 19,5 J 0,1 0.01 a) 0,1 régime I b) 0,01 4 106 5 106 2 J ( A/cm ) 1 1,1 1,3 1,5 1,7 1,9 0,01 J/Jc Fig. III.5 – Ajustement de différents modèles de dissipation avec les courbes (E, J). La figure a) montre la correspondance entre une courbe expérimentale (E, J) et un ajustement avec la relation III.2 de “flux flow”. Deux régimes de lois de puissance apparaissent sur la figure b) séparés par un seuil d’environ 0, 5 V /m et 0, 5 W/cm2 . La Figure III.5b montre que les courbes (E,J) peuvent également être décrites, de manière encore plus probante, à l’aide de deux lois de puissance E ∝ J n situées de part et d’autre d’un seuil de l’ordre 0, 5 V /m. A ce seuil dissipatif 87 correspond une puissance surfacique Ps d’environ 0, 5 W/cm2 . Ce comportement pourrait lui être la signature d’effets thermiques : le ralentissement de la transition serait du à une élévation de la température de la couche SHTC comme l’indique les relations III.2. Cependant, cet échauffement semble ne pas correspondre à une rupture des échanges thermiques entre le film et le bain d’azote liquide. Le seuil dynamique de la caléfaction 24 est estimé autour de 20 W/cm2 , soit une valeur supérieure à celle mise en jeu. Ce seuil Ps pourrait alors correspondre à une modification des échanges thermiques entre le substrat et le film SHTC due aux résistances thermiques d’interface Y BCO/CeO2 et Al2 O3 /CeO2 . Toutefois, il est difficile de concevoir que cet échauffement conduise à une élévation finie de la température dans le régime II (TII = cste implique nII = cste). Il est donc nécessaire d’approfondir cette interprétation à l’aide d’une analyse thermique détaillée (plusieurs résistances d’interface. . . ) avec un logiciel de simulation, tel que Flux 3D 25 utilisé par l’équipe de P. Tixador au LEG, pour considérer le couplage electromagnétique-thermique. Le second régime de loi de puissance se termine ensuite par une accélération de la transition à une puissance surfacique Ps ≈ 20 W/cm2 jusqu’à atteindre un point limite (E ∗ , J ∗ ) où le saut vers l’état normal se produit. L’accélération de la transition à un niveau de dissipation proche du seuil de caléfaction, assure-t’il que le saut vers l’état normal est d’origine thermique? Au contraire, le champ électrique E ∗ définit-il une vitesse critique des vortex relatif à mécanisme d’instabilité de flux flow (se reporter au chapitre II) ? Un autre mécanisme est-il à l’origine de la transition ? Pour apporter des éléments de réponses supplémentaires à ces questions et départager le poids des effets magnétiques et thermiques, l’influence de la vitesse d’injection du courant sur la transition est reportée et confrontée avec les interprétations actuelles. III.2.2 influence de la vitesse d’injection du courant La variation de la vitesse d’injection du courant vI = dI entre deux mêmes dt valeurs d’intensité est utilisée pour moduler l’énergie totale fournie par effet Joule au système et caractériser la transition. La vitesse de montée du courant de In à Ilim est également un paramètre clef de la limitation du courant et dépend de la nature du défaut (court-circuit franc ou non). A ces fins, deux dispositifs complémentaires sont utilisés pour mesurer en rampes de courant les courbes (E,J). Un d’eux a été conçu lors de cette thèse et permet également d’appliquer des impulsions de courant (voir partie limitation de courant DC). 24. A. Sakurai, M. Shiotsu et K. Hata, 1992 Cryogenics 32 421 25. www.cedrat.com 88 a) sur les prémices de la dissipation Alors que dans le paragraphe précédent, il n’était fait part que de la transition loin de Jc , au seuil de dépiégeage des vortex Jc est à présent étudiée. Dans les bicouches Y BaCuO/Au, le démarrage de la transition proche de Jc est également définit par une loi de puissance E ∝ J n comme l’illustre la figure III.6. 12 µV/cm -5 E ( V/cm ) 10 J 21,4 2 µV/cm -6 10 niveau de bruit 77 K 2,1 10 6 2,4 10 6 2,7 10 6 3 10 6 2 J ( A/cm ) Fig. III.6 – Courbe (E, J) à faible niveau de dissipation dans une bicouche Y BaCuO/Au plongé dans l’azote liquide pour v I = 500A/s. Les échelles sont logarithmiques. Pour E ∈ [2 ; 12µV /cm], les variations de n et de Jc en fonction de la vitesse vI sont reportées dans les Figures III.7. Il est tout d’abord observé en Figure III.7a que la densisté de courant pour un même seuil de dissipation Jc est d’autant plus important que l’accroissement du courant est élevé. En d’autres termes, plus la vitesse vI est importante et plus la dissipation est retardée à de plus hauts niveaux de courant. Ce comportement pourrait être interprété comme la signature d’effets thermiques gouvernant la transition avec un échauffement d’autant plus important que la vitesse critique est faible. Cette réduction de l’échauffement du film devrait alors s’accompagner d’une accélération de la transition (n ∝ 1/T ). Cela n’est pas vérifié dans le cas présent où, à l’opposé, le coefficient n diminue de manière très significative pour des vitesses vI croissantes comme le montre la Figure III.7b. Un autre argument en faveur d’une origine non “thermique” à cette variation n(vI ) repose sur les faibles puissances dissipées par rapport au seuil de caléfaction dans l’azote liquide (≃ 10 − 20 W/cm2 ). Celles-ci, de l’ordre de 1 mW/cm2 à 12 µV , permettent d’affirmer que la chaleur est évacuée très efficacement 89 par le substrat. Dans le même sens, il est également intéressant de noter que des résultats similaires ont été obtenus en modifiant les conditions de refroidissement des échantillons (gaz d’hélium). Les échanges thermiques entre le film et son milieu cryogénique ne sont donc pas à l’origine du comportement en loi de puissance (E, J) observé et de son évolution. Il est important de noter que ces phénomènes varient à l’opposé des pertes hystérétiques dues à la montée rapide du courant qui sont caractérisées par E ∝ dI/dt alors que la dissipation est repoussée dans le cas présent à de plus hautes vitesse du courant pour un même seuil dissipatif. 3,6 106 30 77 K 77 K n 3,2 10 n (E=k.J ) Jc (A/cm2) 25 6 2,8 106 Eseuil = 12 µV/cm 15 10 Eseuil = 2 µV/cm 2,4 106 0 20 a) 625 1250 1875 2500 b) 5 vI (A/s) 0 500 1000 1500 2000 v (A/s) I Fig. III.7 – La figure a) montre l’évolution de la densité du courant en fonction de la vitesse de rampe de courant (vI ∈ [100; 1500A/s]) pour un champ électrique de 2 µV /cm et 12µV /cm ; la variation du coefficient n pour cette gamme de champ E est reportée en figure b). L’échantillon est un pont d’Y BaCuO/Au de largeur 3 mm plongé dans un bain d’azote liquide à 77, 4 K. Tous ces élements permettent donc d’affirmer que la transition, aux prémices de la dissipation, est gouvernée par des phénomènes magnétiques caractérisés par une décroissance linéaire n ∝ vI comme reporté en Figure III.7b : plus l’injection du courant est rapide et plus la transition est “lente”. L’interprétation de cette dépendance linéaire reste, au moment de cette rédaction, sujette uniquement à des raisonnements empiriques sans modèle théorique. La décroissance de n et l’indépendance des densités Jc pourraient être associées à une diminution des énergies d’activation et de piégeage des vortex dans le cadre d’un régime de “flux creep” : plus l’accroissement du courant vI est important et plus les vortex se déplacent facilement. Il est possible que des phénomènes de diffusion magnétique interviennent également dans ce mécanisme. En effet, il existe une barrière énergétique de diffusion magnétique dans un supraconducteur (cf page 19). Elle se traduit par un temps de diffusion du courant des bords vers le centre de l’échantillon 26 26. A.V. Bobyl et al., 2002 Super. Sci. Tech. 15 82 90 après l’établissement d’un courant dans un supraconducteur. Plus la variation dI/dt est grande et plus cette barrière est faible et la vitesse de diffusion magnétique est importante 27 . Par extrapolation, cela suggère que plus la vitesse vI est importante et plus les vortex associés au courant sont libres de se déplacer librement vers le centre. De là, à attribuer la transition observée à des effets de diffusion magnétique est un pas qui ne sera pas franchi par manque d’évidences expérimentales directes ; une diffusion du courant doit s’accompagner d’une relaxation de la résistance qui n’a jamais pu être vérifiée expérimentalement au cours de cette thèse malgré une variation de dI/dt atteignant 4000 A/s équivalent à un courant alternatif de 50 Hz et de courant maximum Î≃ 12, 7 A. b) pour la “commutation” vers l’état normal A plus haut niveau de dissipation, la transition pour toute vitesse d’injection du courant s’ajuste aussi bien à l’aide d’un modèle d’écoulement continu de vortex bidimensionnel que de deux lois de puissance, comme illustré dans le début de ce chapitre (cf. Figure III.5). L’influence du taux d’accroissement du courant sur la transition est ici utilisée afin de distinguer le premier modèle purement magnétique de “flux flow” de la description en lois de puissance associée à un échauffement. Dans cet objectif, l’évolution des coefficients n et les paramètres critiques du saut (E ∗ , J ∗ ) pour des vitesses de rampe de courant comprises entre 500 et 4500 A/s sont étudiées (cf. figures III.8 et III.10). Il est rappelé que les régimes I et II réfèrent respectivement à des zones de dissipation situées de part et d’autre d’un seuil de champ électrique de 0, 5 V /m. De manière identique à la dépendance de n pour les faibles E, les deux lois de puissances sont “ralenties” (n décroit) lorsque la vitesse vI augmente confirmant ainsi l’absence de phénomènes d’échauffements dominants la transition (n ∝ 1/T ). Cette hypothèse est confirmée par le très bon ajustement de la courbe (J,E) avec un modèle de “flux flow” (E ∝ J(J −Jc )n−1 , equation III.2) dont le coefficient n est trouvé constant jusqu’à plus de 105 A/s (voir la Figure III.8). De plus, le paramètre ajustable Jc de ce modèle se révèle indépendant de vI et très proche de la valeur critique mesurée par transport. Enfin, l’invariance du coefficient de “flux flow” n est une confirmation supplémentaire de la prépondérance des phénoménes liés au mouvement des vortex. Toutefois, il est important de préciser que toute dissipation dans un matériau induit un échauffement, lequel pourrait dominer les mécanismes de transition. Pour cerner l’importance de ces effets “thermiques”, des expériences sous impulsions de courant avec des temps de montée très courts (< 2µs soit > 105 A/s), pour lesquels les échauffements attendus sont minimums, ont été menées. 27. J.W. Lin, H. Luo et S.Y. Ding, 2002 Super. Sci. Tech. 15 1231 91 25 résultat d'impulsion 5 106 20 I 4 106 II n 15 3 106 c 2 J 10 Jc (A/cm ) n n flux flow 5 n a) 2 106 0 0 1000 2000 3000 4000 5000 vI = dI/dt (A/s) Fig. III.8 – Evolution des coefficients n des lois de puissance E ∝ J n et de la variable d’ajustement Jc du modèle de“ flux flow” pour des vitesses v I de rampes de courant comprises entre 500 et 4500 A/s. Les mesures sont réalisées dans un bain d’azote liquide à 77 K sur une bicouche Y BaCuO/Au de largeur 3 mm. Les valeurs issues d’expériences d’impulsions de courant correspondant à des variations de courant dI/dt de l’ordre de 2.105 A/s sont symbolisées par des carrés pleins. Un exemple de mesures avec des créneaux de courant est présenté sur la Figure III.9 pour un film Y BaCuO/Au de 8, 3 mm de largeur. En variant l’amplitude de l’impulsion de courant DC, le couple courant-tension (I0 , V0 ) est relevé au début du créneau de courant où l’échauffement est négligeable. Il est ensuite possible de recomposer la courbe complète (I0 , V0 ) qui s’accorde aussi “parfaitement” avec un modèle d’écoulement visqueux de vortex 2D (voir l’insert de la Figure III.9). Ces résultats confirment qu’un mécanisme lié aux mouvement des vortex gouverne la transition dissipative jusqu’à des champs électriques de l’ordre de 10 V /m. Ensuite, il est observé une déviation par rapport au comportement caractéristique d’un régime de “flux flow” dans une courte gamme de courant précédant la transition à l’état normal à J ∗ . La Figure III.10 montre que la densité J ∗ croı̂t avec la vitesse vI alors que le champ électrique E ∗ n’a pas de variation très significative”. Ces résultats peuvent s’interpréter comme une disparition progressive des effets thermiques vers les hautes vitesses d’injection du courant. Ces derniers conduiraient à déclencher le passage à l’état normal avant sa localisation asymptotique à J ∗ ≃ 1, 85Jc . Elle atteint la limite 3Jc dans le cas d’expériences sous impulsions de courant où les échauffements sont minimums. Tous ces éléments corroborent une origine plus magnétique que thermique de la transition vers l’état normal qui pourrait, comme dans le modèle de LO 92 2 10 -3 112 I 1,5 10 0 V 84 0 56 1 10 -3 5 10 -4 0 10 0 0 V (V) 0,01 V (V) I (A) -3 courbe de flux flow 0,001 28 100 0 110 120 130 140 150 I (A) 0 0 0,35 0,7 1,05 t (ms) Fig. III.9 – Expérience de créneaux de courant : la figure principale expose l’évolution temporelle du courant I et de la tension V . Pour chaque niveau de courant de crénéaux, il est relevé le couple (I 0 , V0 ) au début de l’impulsion là où les effets thermiques sont négligeables. En insert est montré la courbe (I 0 , VO ) résultante. 1 102 1,9 90 80 J*/Jc 70 60 1,7 E* (V/m) 1,8 50 40 b) 1,6 0 T = 77,4K 1700 3400 v (A/s) 30 5100 I Fig. III.10 – Variations des paramétres critiques E ∗ et J ∗ (figure b) pour des vitesses vI de rampes de courant comprises entre 500 et 4500 A/s pour un film Y BaCuO/Au de largeur 3 mm. décrit au second chapitre, être due à une instabilité de flux flow. Une telle 93 interprétation a été suggérée également par l’équipe de M. Decroux 28 qui montre que le saut vers l’état normal se produit alors que la température du supraconducteur est inférieure à Tc . A l’opposé, H. Kinder 29 et ses collaborateurs mesurent, à l’aide de thermomètres placés directement sur les films, la propagation de la transition S/N durant des expériences d’impulsions de courant DC et déduisent que la transition S-N est purement thermique. Ils mettent clairement en évidence que la transition démarre dans les zones de plus faibles Jc et se propagent thermiquement, à des vitesses de l’ordre de 10 à 20 m/s, à l’ensemble du volume du film. Mais ils ne traitent pas l’origine, qui pourrait être magnétique, de la transition dans les premières zones. Deux mécanismes liés au mouvement des vortex pourraient être à l’origine du saut. Le premier serait une instabilité de “flux flow” comme décrite au second chapitre, bien que cette théorie n’ait pas été développée pour une configuration en champ propre. Une seconde interprétation possible est de considérer le saut vers l’état normal comme un saut de flux généralisé 30 dans tout le volume du supraconducteur conduisant à un emballement magnéto-thermique, et aussi à une brusque disparition de l’état supraconducteur. Cette théorie prévoit que l’instabilité interviendra d’autant plus “facilement” que la variation du champ magnétique, et donc du courant, est importante. Pour conclure sur des considérations d’ordre technologique, il est important de noter que la transition à I ∗ , et donc le courant de limitation, est retardée à une valeur d’autant plus haute que la montée du courant lors d’un défaut est élevée. Dans le cas d’un défaut franc “typique”, le courant atteint environ 10 fois le courant nominal In en 1 ms, correspondant par exemple dans le −In cas d’un réseau continu à un taux d’accroissement dI/dt = 10I10n−3 de l’ordre 4 de 10 In /s. Pour un courant nominal In de 20 A, valeur réaliste dans un pont de 3mm de large, la vitesse vI serait alors de l’ordre de 2.105 A/s et le déclenchement de la limitation du courant serait gouverné principalement par des effets magnétiques. Les effets thermiques ne peuvent pas pour autant être éliminés dans le cadres d’applications telles que la limitation du courant. Ceux-ci sont même déterminants durant la période de limitation en régissant les valeurs de champs électriques que pourra développer un limiteur ainsi que la survie du dispositif. 28. L. Antognazza et al., 2002 Physica C 372-376 1684 29. A. Lehner et al., 2002 Physica C 372-376 1619 30. R.G. Mints, 1996 Phys. Rev. B 53 12311 94 III.2.3 phénomènes thermiques et dérivation par le shunt métallique Dans les régimes de dissipation où E est inférieur 10V /m, le courant de transport s’écoule majoritairement dans le film supraconducteur. Ce n’est plus le cas à plus haut niveau de dissipation où la couche métallique peut dériver une partie du courant 31 lorsque la résistance du SHTC devient de l’ordre de celle de la couche métallique. Les courbes de la Figure III.11 présentent l’évolution de la résistivité d’une bicouche Y BaCuO/Ag (eY BaCuO ≃ 800 nm et eAg ≃ 400 nm) en fonction du rapport J/Jc pour différentes températures d’un bain d’azote liquide pressurisé. Après un premier régime de dissipation en lois de puissance qui est d’autant plus lent que la température augmente, une plage de résistivité constante apparaı̂t pour T > 85K. Dans ce régime, la résistivité est de l’ordre de grandeur de celle de la couche métallique : le courant est donc dérivé totalement dans le shunt d’argent. 0.7 2 ρ (µΩ.cm) Ω.cm) ρ (µΩ 83.5K 1,6 0T 0.6 82.5K 84.5K 0.5 0,5T 1T argent 0.4 3T 0.3 77K 1,2 0.2 0 20 60 80 100 J /Jc10µV 85.5K 0,8 40 86.5K 87.2K 0,4 Ag (100K) 0 0 2 4 6 8 10 12 J / Jc Fig. III.11 – Evolution de la résistivité ρ en considérant uniquement la section de la couche métallique en fonction de la densité de courant normalisée à J c pour différentes températures et champ magnétique (en insert). L’échantillon testé est une bicouche Y BaCuO/Ag. Un tel phénomène implique cependant que la couche métallique soit en me31. C. Villard, C. Peroz, D. Buzon, M.F. Devismes, L. Carbone, 2002 Physica C 372-376 1880-1884 95 sure de supporter des densités de courant supérieurs à Jc,Y BCO (T ) en conservant une résistivité constante. Ce seuil de courant, établi expérimentalement, est de l’ordre de Je,Ag ≃ 106 A/cm2 . Au delà, un échauffement excessif de la couche métallique se produit. Cette densité Je,Ag correspond à une puissance surfacique d’environ 27W/cm2 , soit de l’ordre de grandeur du seuil de caléfaction dans l’azote liquide. Cela confirme la pertinence de la valeur mesurée. Dans la gamme de température T > 85 K, le courant critique du film est suffisamment affaiblis, avec Jc,Y BCO (T ) . Je,Ag , pour qu’une dérivation totale du courant dans la couche d’argent soit possible. L’insert de la Figure III.11 montre également que ce régime apparaı̂t lorsque la densité de courant critique Jc,Y BCO (H) est abaissée par application d’un champ magnétique Ha . La diminution de la résistivité totale permet d’entrevoir de plus un début de récupération des propriétés supraconductrices lors de la dérivation du courant dans le métal. Au-delà de ce régime où le film métallique remplit son rôle de shunt, la résistivité croı̂t à nouveau mais moins rapidement que dans le régime précédant la dérivation. Ce ralentissement peut être associé à un partage du courant entre la couche supraconductrice au comportement non-ohmique et le film métallique caractérisé par une loi (E, J) qui sans être linéaire reste “molle”. Il est important de souligner que pour les faibles vitesses vI utilisées ici, il n’est jamais observé de saut vers l’état normal, mais au contraire, une accélération progressive de la transition pouvant conduire à une fusion locale des échantillons. Les échauffements sont ici très importants, du fait de durées d’injection du courant au-dessus de Jc,Y BCO de l’ordre d’une seconde. La présence dominante d’effets thermiques supprime ainsi la transition brutale vers l’état normal observée à plus grandes vitesses vI , et souligne une nouvelle fois l’origine magnétique de ce saut. Les effets thermiques évoqués ci-dessus ont été “quantifiés” en mesurant l’élévation de température à l’arrière du substrat avec une résistance de platine collée. Une anomalie caractérisée par une décroissance de la température dans des conditions de puissance totale dissipée dans l’échantillon croissante est visible uniquement lorsqu’un régime de dérivation est observé. Ce phénomène s’explique aisément si l’on considère une résistance thermique d’interface entre Y BaCuO et Ag 32 . Elle induirait une discontinuité de température entre les deux films et ainsi un échauffement ∆T favorable à Y BaCuO dans le cas où la dissipation provient essentiellement de la couche d’argent. De plus, la mauvaise conductivité thermique selon l’axe c dans le film d’Y BaCuO permettrait de bloquer l’écoulement de la chaleur produite dans la couche d’argent durant le régime de dérivation et conduirait à l’anomalie observée. Cette hypothèse nécessite encore une vérification par des simulations thermiques. En résumé, ces résultats montrent qu’une récupération partielle associée à un refroidissement relatif de la couche d’Y BaCuO, est possible sous courant 32. M.K. Chyu et C.E. Oberly, 1992 Cryogenics 32 519 96 80 0.8 Ag Ag 85.5K (100K) 20 0.425 8 0.4 6 4 0.2 2 0 a) (100K) 0.6 86.5K 0 0 b) 0 200 400 600 800 ∆T(K) 40 0.85 ∆T = TPt100 - 77K 60 ρ(µΩ.cm) 1.275 ρ (µΩ.cm) 10 84.5K 0 0 1000 400 800 t (s) t (ms) Fig. III.12 – Variations temporelles de la résistivité normalisée à l’épaisseur du film d’argent, et de la température mesurée à l’arrière du substrat : pour des températures de 84, 5 K et 85, 5 K (Figure a) ), et à 86, 5 K) en Figure b). de transport grâce à l’existence d’une résistance thermique de contact entre le métal et le supraconducteur. Cette propriété tout à fait intéressante pour la limitation du courant est développée pour la première fois dans la section suivante. III.3 Les films YBaCuO/Au comme limiteurs de courant alternatif L’utilisation des couches minces SHTC pour le développement de limiteurs supraconducteurs résistifs (LSC) est très prometteuse. Cette solution est étudiée depuis plus d’une dizaine d’année par plusieurs groupes de recherches33 avec des films minces d’Y BaCuO comme éléments de limitation en régime alternatif AC. En 2000, le groupe de recherche de la société Siemens a testé un prototype 34 triphasé pour une puissance totale de 1, 2MV A (7, 2kV /100A). Bien que la faisabilité de tels systèmes ait été démontrée à moyenne échelle, leur extrapolation pour des hautes tension reste encore très problématique et nécessite de bien comprendre la phase de déclenchement du limiteur. Dans le cadre de ce travail, les propriétés de déclenchement et de limita33. H.S. Choi, O.B. Hyun et H.R. Kim, 2001 Physica C 351 415 B. Gromoll, 1997 IEEE Trans. Appl. Super. 7 828 C. Villard et al., 2000 Physica C 341-348 2341 Y. Terashima et al., 1994 Jpn. J. Appl. Phys. 33 1592 34. S. Fischer et al., 2000 CIGRE Commun. 13 207 97 tion sont étudiées dans des bicouches Y BaCuO/Au. L’observation d’une récupération de la couche supraconductrice sous courant comme le montre les résultats de la section précédente permet d’envisager un retour de l’état supraconducteur du système LSC sous courant. Aussi, cette récupération possible et les effets thermiques associés sont étudiés à la fin de cette section dans le cadre original où le limiteur de courant n’est pas isolé de la source de puissance après le défaut. Ce point est important pour la continuité de la distribution de l’énergie électrique dans des réseaux réels comportant des appareils tels que les transformateurs. Ces derniers peuvent en effet absorber des sur-courants jusqu’à 10 fois supérieurs au courant nominal In lors de leur enclenchement. Ces sur-courants transitoires ne doivent toutefois pas conduire à une isolation de la ligne électrique comme dans le cas d’un défaut réel tel qu’un court-circuit. Un dispositif LSC inséré dans un réseau se doit donc de supporter des sur-courants transitoires atteignant 10In sans limitation, et de récupérer ensuite son état supraconducteur sans être isolé. De plus, la limitation des sur-courants par le LSC est avantageuse. Ce travail de thèse a démontré pour la première fois les capacités de récupération d’un limiteur de courant sans interruption du courant. Le comportement de limitation et de récupération d’un élément LSC est reporté dans les conditions réelles de connexion d’un transformateur afin de montrer l’applicabilité de ce concept 35 . III.3.1 détails expérimentaux Le circuit expérimental utilisé pour mesurer les propriétés de limitation et de récupération est dépeint en Figure III.13. La source de tension alternative V varie entre 0 et 60 Vrms . Le “shunt” résistif Rs permet de déterminer la valeur du courant dans le circuit secondaire et le rhéostat variable RL de fixer la valeur du courant “normal” Inor avant le défaut. Le contacteur d’isolation S1 est utilisé pour établir le régime normal et les thyristors S2 permettent de simuler, avec précision, un court-circuit de durée tcc variable. Ces interrupteurs sont tous commandés à l’aide d’un programme Labview qui contrôle les temps caractéristiques des expériences. Les tensions sont mesurées à l’aide d’oscilloscopes différentiels numériques. Les tensions sur les contacts de courant des couches (Etot ) et au centre de l’échantillon (Ec ) sont enregistrées. Toutes les expériences sont effectuées dans un bain d’azote liquide à 77, 4 K. Rq : les notations I et Î sont employées pour désigner respectivement la valeur efficace et maximale d’un courant I. 35. C. Peroz, C. Villard, D. Buzon et P. Tixador, 2003 Super. Sci. Technol. 16 54-59 98 = 1,52mΩ LSC Variac (50Hz) transformateur Fig. III.13 – Schéma du circuit expérimental. R s = 1, 52 mΩ III.3.2 régime nominal et propriétés de limitation Le régime normal et les propriétés de limitation sont ici étudiés avant de discuter qualitativement la récupération des bicouches après un défaut. Un paramètre important pour la conception d’un système LSC est le courant nominal In que celui-ci peut supporter en restant dans un état supraconducteur très faiblement dissipatif. Une série de tests pour différents rapports In /Ic et fréquences a été réalisée pendant parfois plusieurs minutes. La Figure III.14 montre le résultat d’une expérience à 50 Hz pour În /Ic ≃ 1, 07 dans laquelle le LSC reste dans un état faiblement dissipatif même après plusieurs minutes. Il est observé que les pertes résistives ont un comportement périodique (voir l’insert de la Figure III.14) d’environ 4 Hz et 3 Hz pour des fréquences du courant In respectivement de 50 Hz et 100 Hz. Ce comportement reflète certainement l’adaptation “automatique” du courant à l’impédance du LSC. Une petite augmentation du courant induit une augmentation de la température du LSC. La croissance correspondante de sa résistance produit l’effet opposé conduisant alors à une décroissance de sa température. Ces processus impliquent une récupération partielle du LSC sous courant favorisée par les faibles niveaux de dissipation mis en jeu. Dans le cas particulier présenté, la puissance surfacique est en effet inférieure à 40 mW/cm2 au maximum de la dissipation, soit une énergie surfacique d’environ 1 mJ/cm2 pour une période, ce qui indique un bon échange thermique avec le bain d’azote liquide 36 . A plus basse fréquence du courant In (5 Hz), cet effet périodique disparaı̂t et les pertes résistives sont beaucoup plus importantes pour un même courant nominal. Cela indique qu’une récupération partielle ne peut 36. S. Nukiyama, 1960 J. Soc. Mech. Eng. Japan 37 367 99 175 600 0 E 2.1 tot µV/cm) (µ 350 -175 0 0.2 t(s) 0.4 0.6 E µV/cm) J/Jc(20µ 400 -0.2 tot 200 µV/cm) (µ 1.05 0 0 -200 -1.05 -0.01 0 0.01 0.02 0.03 t(s) Fig. III.14 – Variations temporelles du rapport J/Jc et du champ électrique Etot sur la longueur totale de l’échantillon sous un courant nominal définis par I n /Ic = 0, 76. La composante inductive a été soustraite pour E tot . L’insert de la figure présente la dépendance en temps de E tot pour une durée d’une seconde. maintenant plus s’opérer alors que des points de fonctionnement stables sont établis pour des plus hautes températures du LSC. Des expériences successives ont été menées avec des courants In croissants. Les résultats révèlent que la bicouche peut supporter un courant AC de 50 Hz de valeur efficace égale au courant critique (Inmax /Ic ≃ 1, 35) en restant dans un état supraconducteur dissipatif. Pour un tel courant, la puissance maximum pour I =În est d’environ 10 W/cm2 , soit l’ordre de grandeur de la caléfaction dans l’azote liquide. Au-delà de cette valeur, il a été observé que les films transitent toujours vers l’état normal. La Figure III.15 présente une courbe de limitation du courant à 50 Hz pour un court-circuit de 10 ms. Les bicouches transitent vers l’état normal en une durée d’environ 0, 4 ms avec un courant maximum de l’ordre de 2, 4Ic . Cette abrupte variation d’impédance dans le circuit conduit alors à une diminution du courant fournie par la source de tension V . Ensuite, la densité J(t) et le champ électrique E(t) tendent à suivre de nouveau une onde sinusoidale de fréquence 50 Hz. Cependant, il est observé que le courant est limité à une valeur constante maximum Îlim ≃ 1, 6Ic tandis que les champs électriques Ec et Etot continuent à augmenter, atteignant près de 3, 5 kV /m sur la totalité de l’échantillon sans dégradation de ce dernier. Il est à noter que ces valeurs de champs électriques développés sont parmi les plus importantes reportées 100 4000 2 E J/J E tot 1 2000 E ( V/m ) c c 0 0 0 5 t (ms) 10 15 Fig. III.15 – Evolution de J(t)/Jc et des champs électriques moyens au centre Ec (t) et sur la longueur totale Etot (t) durant une expérience de limitation à 50 Hz. au moment de la rédaction de ce manuscrit, le record ayant été atteint pat Y. Kudo et al. 37 avec près de 8, 3 kV /m. Elles permettent d’envisager d’augmenter les performances d’un futur système en comparaison avec les tests du prototype de Siemens qui fonctionnait pour 0, 7 kV /m. Pour insister sur ce point, l’auteur tient dès à présent à souligner que des expériences de limitation à des champs électriques de l’ordre de 2 kV /m pendant plusieurs périodes de 20 ms et sans dommage pour les films ont été couramment obtenues (voir la suite de la discussion). D’autre part, le plateau de courant observé dans la Figure III.15 montre que la résistance de l’échantillon varie en concordance avec la tension appliquée. Ce phénomène a déjà été observé et interprété 38 comme une propagation des zones normales au reste de l’échantillon avec un champ électrique constant E ≃ 1, 6Jc . Ce phénomène a été également observé 39 , 40 pour différents rapports d’épaisseurs entre les films d’Y BaCuO et d’or. Le plateau du courant quasi-constant disparaı̂t ensuite à plus hautes puissances de défaut où la dynamique du système est trop importante pour permettre l’établissement d’un régime stable de propagation. Enfin, il est intéressant de noter que la dissipation au centre de l’échantillon est plus importante que sur toute sa longueur (Ec > Etot ), indiquant ainsi que les résistances de 37. Y. Kudo, 2002 Physica C 372-376 1664 38. M. Decroux et al., 2001 IEEE Trans. Appl. Super. 11 2046 39. M. Decroux et al., 2002 proceeding soumis à la conférence ASC 40. A. Heinrich et al., 1999 IEEE Trans. Appl. Super. 9 660 101 contact (quelques mΩ) dans les expériences sont suffisamment faibles pour éviter toute transition indésirable par échauffement aux amenées de courant. III.3.3 récupération sous courant La conception d’un système LSC inclut généralement une dérivation du courant afin de permettre la récupération de son état supraconducteur en une durée tr . Cette durée opérationnelle tr a été qualitativement estimée 41 à environ une seconde dans un film Y BaCuO/Au. Cependant il pourrait être imaginé de s’affranchir de cette opération de dérivation et d’envisager une récupération sous courant permettant un fonctionnement “autonome” du LSC. C’est l’objet de cette section. Pour cela, un courant “normal” Inor est ré-appliqué immédiatement après un défaut. La variation temporelle de la résistance du film est déduite des courbes E(t) et J(t), et l’élévation de la température du substrat ∆Tsubstrat est relevée comme précisé prédemment. Un résultat expérimental est montré en figure III.16a pour un courant Înor ≃ 0, 5Ic et un court-circuit de deux périodes de 50 Hz, soit tcc = 40ms. Le LSC transite vers l’état normal en moins de 250 µs et limite le courant à environ 1, 5Ic . A la fin du défaut, Rf ilm et ∆Tsubstrat atteignent respectivement Rf ilm ≃ 3Rn (Rn est la résistance de la couche à l’état normal) et ∆Tsubstrat ≃ 15K (voir Figure III.16b). Après la période de courtcircuit, la bicouche et le substrat refroidissent jusqu’à Rf ilm ≃ 1, 75Rn et ∆Tsubstrat ≃ 2K où se produit une abrupte récupération des propriétés supraconductrices 42 lorsque le courant passe par zéro. Cette transition N/S à de tel niveaux de dissipation est inattendue et implique l’existence d’une discontinuité de température entre le film d’Y BaCuO et la couche métallique. En d’autres termes, il existe une résistance thermique d’interface finie entre les deux couches qui joue un rôle prépondérant, comme le soulignaient déjà les résultats obtenus en rampe de courant. Dans l’état normal qui persiste après le défaut, le courant est très majoritairement dérivé dans le film d’or, dont la température peut être bien supérieure à Tc , pendant que le film d’Y BaCuO refroidi jusqu’à T . Tc grâce à son fort couplage thermique avec le substrat. Lorsque le courant critique de la couche SHTC atteint la valeur de Inor , une récupération peut alors s’établir. Il est utile de définir ce phénomène par une durée tr correspondant à l’intervalle de temps entre la fin du défaut et la récupération (voir Figure III.16a). La variation de cette durée tr a été qualitativement étudiée en fonction du courant Inor et de la puissance de court-circuit Pcc . L’influence de In pour des durées de défaut de une à cinq périodes (20 à 100 ms) est présentée en Figure 41. H.S. Choi, H.R. Kim et O.B. Hyun, 2001 Cryogenics 41 163 42. C.P eroz, C. Villard et D. Buzon, 2003 Physica C 386 314 102 4 t 2000 r c E ( V/m ) 3 0 J/J c 2 -2000 1 I nor t cc 0 -4000 -1 0 100 200 t (ms) 300 3 16.5 11 5.5 (K) 1 substrate ∆T 2 Rfilm / Rn 400 tr 0 0 fin du défaut 0 100 200 t (ms) 300 400 Fig. III.16 – Expérience de limitation-récupération pour un courant normal I/In ≃ 0.35 et un court-circuit de 40 ms. (a) montre la variation de J(t)/J c et Ec (t) et b) les évolutions correspondantes de R f ilm (t) et ∆Tsubstrat (t). III.17a. Pour des niveaux de courant Inor supérieurs à ceux exposés, la durée tr excède la capacité de mesure maximale de 10 secondes. Par conséquent, pour des courants Inor > 0, 65Ic , et indépendamment de la durée du défaut, un mécanisme de récupération en un temps “réaliste” n’est plus possible. Au contraire, pour des valeurs de Inor plus faibles, la durée de récupération dépend de la durée de court-circuit tcc et plus précisément de l’énergie Ecc dissipée durant le défaut. La Figure III.17b donne l’évolution de tr en fonction de Ecc pour trois niveaux de In . L’énergie volumique Ecc est déterminée en considérant uniquement le volume supraconducteur. A faible énergie, tr est proportionel à Ecc . Dans 103 300 Inor/Ic=0.5 100 ms 40 ms 20 ms I /I =0.75 nor c 400 nor c r r t (ms) t ( ms ) 200 I or/I =0.85 100 0 0.1 a) 0.2 0.3 0.4 I /I n 0.5 0.6 200 b) 0 0.7 0 2 10 5 5 E c cc 4 10 3 6 10 ( J/cm ) 5 8 10 Fig. III.17 – a) Dépendance de la durée de récupération t r en fonction du courant normalisé In /Ic pour une puissance de défaut identique et trois t cc distincts. b) Relation entre l’énergie volumique emmaganisée E cc pendant la période dissipative et tr pour trois valeurs de courant normal. ce régime linéaire, tr s’assimile au temps d’évacuation de l’énergie emmagasinée par la couche lors de son régime dissipatif. De plus, il est observé, de manière prévisible, que l’énergie emmagasinée par la couche est d’autant plus efficacement evacuée que le courant Inor est faible. Les valeurs de l’énergie Ecc déduites d’un modèle adiabatique où seul le volume du film supraconducteur est considéré conduisent à des échauffements ∆Tf ilm ≃ Ecc /Cp (Cp (100K) ≃ 1, 35 J/cm3 /K la chaleur spécifique d’Y BaCuO) “irréalistes” de plusieurs millions de degrés. Cela confirme ainsi que les échanges thermiques mutuels entre les films, le substrat et le bain d’azote liquide sont essentiels pour comprendre les mécanismes de récupération. A plus hauts niveaux d’énergies, le temps de récupération tr n’est plus proportionnel à Ecc et diverge d’autant plus rapidement que Inor est élevé, montrant peut être que le film ne peut plus évacuer efficacement la chaleur par le substrat. III.3.4 connexion d’un transformateur : un surcourant “commun” L’applicabilité de ces résultats de récupération est finalement confrontée à la problématique de la connexion d’un transformateur. En effet, l’enclenchement d’un transformateur sans charge est associé à des sur-courants transitoires qui peuvent atteindre jusqu’à 10 fois le courant nominal In et durer quelques périodes. Un limiteur de courant inséré en série dans le réseau électrique devrait pouvoir supporter cette contrainte sans nécessiter son isolation comme dans le cas d’un défaut de courant. Une récupération du LSC sous courant 104 5 est donc essentielle. Pour valider le potentiel des bicouches façe à cet objectif, le dispositif expérimental précédent est modifié suivant la Figure III.18. Fig. III.18 – Dispositif expérimental utilisé pour étudier la récupération d’une bicouche aprés l’enclenchement d’un transformateur. Dans ce nouveau circuit, S1 et RL sont remplacés par le “coté” primaire d’un transformateur 1, 25 kV A / 65 V . Un interrupteur rapide S2 est utilisé afin d’établir le courant dans la boucle, et conduit à l’enclenchement du transformateur. Une charge RL peut éventuellement être connectée au secondaire du transformateur afin de simuler un régime de courant normal après le régime de sur-courant transitoire. Finalement, une synchronisation précise de l’interrupteur S2 avec le réseau est accomplie afin de vérifier le comportement du LSC dans les conditions les plus séveres. Due aux caractéristiques magnétiques d’un transformateur, le plus haut sur-courant apparaı̂t quand le circuit est fermé au passage par zéro de la tension. Un test préliminaire en l’absence d’un élément LSC montre que le pic de courant maximum atteint environ 8 Ic durant la connexion du transformateur (voir l’insert de la Figure III.19). L’addition d’une bicouche dans le circuit permet de limiter quasi-instantanément et efficacement les sur-courants à environ 2Ic en développant un champ électrique sur la longueur totale de l’échantillon de l’ordre de 2 kV /m (voir la Figure III.19). Après la première période, le courant décroı̂t en dessous de 0, 4Ic et permet une récupération de l’état supraconducteur du limiteur à l’intérieur d’une durée tr . La récupération dans des conditions d’un fonctionnement classique dans un réseau électrique, par exemple sous courant nominal, est maintenant simulé en plaçant une charge RL au secondaire du transformateur. La Figure III.20 montre une récupération en environ 90 ms pour un rapport În /Ic ≃ 0, 42. Pour un rapport In /Ic supérieur, il n’y a pas de retour à l’état supraconducteur pour des temps inférieurs à 10 secondes. Cette rapport seuil In /Ic est important pour concevoir un futur LSC et son fonctionnement sous régime nominal. Le courant nominal étant une donnée d’un réseau électrique donné, il est alors possible de dimensionner de manière adéquate le LSC de façon à ce que son courant critique Ic ne soit pas inférieur à În /0, 42 pour les échantillons présents. Soit un dimensionnement de la section d’un dispositif LSC trois 105 4 8 J / Jc 6 3 2000 4 2 0 J/J 1000 0 t(s) 2 0.075 0 t 1 E (V/m) c -2 r -1000 0 -2000 0 0.075 t (s) Fig. III.19 – Evolution temporelle du courant normalisé J(t)/J c et du champ électrique E(t) pendant l’enclenchement du transformateur avec ou sans (en insert) un élément LSC. 2000 3.3 1000 J/J c 0 t r E (V/m) 2.2 -1000 1.1 -2000 0 0 0.05 t(s) 0.1 Fig. III.20 – Evolution de J(t)/Jc et E(t) durant l’enclenchement du transformateur avec une résistance de charge à son secondaire. fois plus important que la valeur du courant supportable par les bicouches en régime nominal avant un défaut. Bien que la valeur du courant Ic puisse atteindre la valeur maximale În sans dommage pour les bicouches durant le régime nominal, une récupération après des sur-courants comme ceux pro106 duits par le démarrage du transformateur nécessite un sur-dimensionnement du limiteur. Dans cette partie, il a été clairement mis en évidence le haut potentiel des bicouches Y BaCuO/Au comme limiteurs de courant. Lors d’un défaut, elles transitent rapidement vers l’état normal et peuvent développer, pendant plusieurs périodes de 20 ms, des champs électriques de plusieurs kV /m sans détérioration. De plus, la capacité des bicouches à recouvrir leur état supraconducteur sous courant a été démontrée. Ce dernier point est crucial pour la conception d’un LSC dans les conditions réalistes d’un réseau électrique. III.4 Le limiteur du courant DC pour une revanche du courant continu L’émergence de nouvelles formes d’énergies comme les piles à combustibles ainsi que la libéralisation du marché de l’énergie électrique annoncent un développement futur des réseaux de courant continu (DC). Ce retour au courant DC serait aussi très profitable à une diffusion de la technologie supraconductrice. Cependant, le problème majeur d’une ligne de courant DC est sa coupure en cas de défaut, car le passage du courant AC de défaut par zéro ne peut plus être utilisé. Une solution prometteuse à cet inconvénient est le limiteur supraconducteur de courant DC. Comparativement au cas alternatif, le limiteur supraconducteur DC serait très favorable d’un point de vue cryogénique avec des pertes potentiellement nulles en régime normal et un nombre plus réduit d’amenées de courant par rapport au triphasé. La réfrigération du dispositif sera donc d’un coût beaucoup plus raisonnable, ce qui augmente encore son intérêt technologique. Cependant la faisabilité d’un limiteur de courant DC avec des supraconducteurs n’a jamais été démontrée malgré une ancienne étude menée dans les SBTC 43 qui l’évoquait : c’est l’objectif de cette étude qui s’est initiée comme une veille technologique. III.4.1 dispositif experimental Le dispositif expérimental utilisé pour les tests préliminaires de limitation du courant DC est décrit par le schéma de la Figure III.21. Il a été développé dans le cadre de cette thèse. Le circuit se compose d’une alimentation de puissance Xantrex 100A/60V couplée à un “hacheur de tension” composé de 43. A. Ulbricht, 1979 Cryogenics 10 591 107 diodes laser, qui permet de générer des pulses de tension constante avec des temps de montée et de descente très courts (< 2µs) et une durée réglable entre 20 µs et 20 ms. La stabilité du courant durant les impulsions est supérieure à 95 %. Deux résistances sont insérées en série dans le circuit afin de fixer (Rc ) et mesurer (Rshunt) l’intensité des impulsions de courant qui peuvent atteindre jusqu’à 500 A. Pour les expériences de limitation du courant, le système “hacheur” est supprimé et l’alimentation est commandée à l’aide d’un programme sous Labview pour simuler deux périodes de régime nominal séparées par un régime de défaut. Les expériences sont réalisées sur des bicouches Y BaCuO/Au. Rc hacheurr (V,I) V Rshunt Fig. III.21 – Schéma du circuit expérimental utilisé pour les expériences d’impulsions de courant. Les résistances R c et Rshunt valent respectivement 0, 5 Ω (ou 0, 25 Ω pour les courants d’environ 100 A) et 1, 2 mΩ. III.4.2 transition en courant continu DC L’étude de la transition sous créneau de courant est fondamentale pour la compréhension du fonctionnement d’un limiteur continu. Aussi, une série de tests pour des durées de pulse variant de 30 µs à 10 s a été menée. Lorsque que le courant dépasse un seuil critique, l’échantillon transite quasiinstantanément vers un état faiblement dissipatif. Cet état est stable et homogène sur toute la longueur des échantillons jusqu’à des densités de courant de l’ordre de 1, 2Jc . A des courants supérieurs, l’état faiblement dissipatif est instable et évolue de façon accélérée jusqu’à un passage abrupt vers l’état normal (voir la figure III.22). Cette transition progressive est certainement due à un échauffement de l’échantillon sous un courant constant jusqu’à une certaine puissance surfacique Ps au delà de laquelle les échanges thermiques seront suffisamment réduits pour conduire à un emballement 108 “magnéto-thermique”. Cette interprétation est confirmée par le fait que la puissance Ps pour un même critère dV /dt est quasi-constante et du même ordre que le seuil de caléfaction : par exemple pour dV /dt = 2 V /s, Ps ≃ 6 W/cm2 . Il est également possible de qualifier expérimentalement cette transition à l’aide d’un temps caractéristique tT déterminé arbitrairement par un critère dynamique dV /dt = 2V /s. L’insert de la Figure III.22 montre que l’évolution de tT en fonction de I/Ic suit une loi de puissance sur environ 4 décades temporelles. 64 0,8 1000 pas de transition à l'état normal tT ( ms ) 32 10 0.1 0.001 1 16 0,6 (I/Ic)-10,8 1,2 I/I 0,4 2 3 t 0 0 0,5 0,2 c tT 1 1,5 2 U (V) I (A) 48 0 T 2,5 t (ms) Fig. III.22 – Evolution de la tension en fonction du temps pour un créneau de courant de l’ordre de 2Ic ; en insert est représentée la variation du délai avant transition tT en fonction du courant normalisé à I c (les signes pleins proviennent de l’étude de L. Antognazza et al.). Similairement aux résultats publiés par le groupe genevois44 pour des échantillons de sections plus faibles, une transition vers l’état normal se produit en moins de 10 µs pour une densité J ≃ 3Jc . Ces résultats servent ainsi à définir l’intensité Ic minimale (Ic > In /1, 2), et donc la section adéquate des films, afin que le limiteur DC reste électriquement transparent en régime nominal. Le temps de latence tT qui définit le passage à l’état normal sera ensuite d’autant plus rapide que le dépassement du courant critique sera important. Une durée de déclenchement tT de l’ordre de la milliseconde est généralement estimée efficace et correspond à un courant de défaut de seulement 1, 8Ic . 44. L. Antognazza et al., 2002 Physica C 372-376 1684 109 III.4.3 expériences de limitation et récupération Il s’agit là d’une première évaluation de la capacité d’un élément supraconducteur à fonctionner en continu lors d’un défaut. Pour cela, une bicouche de longueur 24 mm est soumise à 3 créneaux de courant simulant tout d’abord le régime normal (sans défaut), puis le régime de défaut, et enfin un retour à la première valeur de courant. La durée de chacune de ces étapes a été fixée ici à 500 ms, c’est-à-dire à une valeur exigeante mais réaliste en ce qui concerne à la fois les temps de défaut et de récupération caractéristiques d’un fonctionnement sur un réseau électrique. Les temps de montée et de descente sont fixés par la dynamique de la source de courant à quelques millisecondes. Une courbe où Jn = 0, 2Jc est présentée en figure III.23. 2 6 Itheo / Ic J/Jcpic 1,5 4 600 2 0 0 0,8 1,6 c J/J 1 400 tr E (V/m) t (s) 200 0,5 0 0 0 0,4 0,8 1,2 1,6 t (s) Fig. III.23 – Evolution temporelle de la densité de courant normalisée au courant critique J/Jc et du champ électrique E dans une expérience de limitation et de récupération sous courant de transport. L’allure du courant théorique en fonction du temps est donnée en insert. Alors que le régime de défaut est programmé pour atteindre J/Jc ≃ 6 (insert de la figure III.23), le pic de courant dans le circuit avec limiteur ne dépasse pas 1, 6Jc . Cette valeur est très favorable dans la perspective d’une insertion de ce type de dispositif en série avec les éléments d’un réseau électrique vulnérable aux défauts de fortes intensités et de courtes durées. Le courant 110 400 200 300 150 200 100 2 P (W/cm ) se stabilise ensuite aux environ de 0, 4Jc jusqu’à la fin du défaut simulé. Cette valeur est déterminée par la puissance de court-circuit du montage expérimental qui dépend des réglages de tension et de courant maximum de l’alimentation de puissance (ici, Pcc ≃ 50W ). Le rétablissement du régime sans défaut induit une récupération brutale de l’état supraconducteur au bout d’un temps tr ≃ 380 ms. Ce retour presque instantané à l’état de champ électrique nul montre l’existence d’une résistance thermique de contact entre le film d’or et la couche d’YBCO de la même manière que le processus de récupération précédemment évoqué. Des champs électriques supérieurs à 1, 5 kV /m, correspondant à des puissances surfaciques moyennées sur la période de défaut de l’ordre de 500 W/cm2 , ont été atteints sans dommage au cours d’expériences de limitation du courant DC. Ces phénomènes dissipatifs sont associés à des températures maximales à l’arrière du substrat pouvant atteindre des valeurs proches de 300 K (Figure III.24). Les phénomènes thermiques mis en œuvre au moment de la transition sont donc très importants et la couche supraconductrice doit sa survie au film d’or qui la recouvre. ∆T(K) 50 100 0 0 0 0,4 0,8 1,2 1,6 t (s) Fig. III.24 – Evolution temporelle de la puissance surfacique P s et de la température (∆T = Tsubstrat −77K) obtenue par une sonde platine collée à l’arrière du substrat, dans l’expérience de limitation et de récupération précédente. Ces résultats montrent la robustesse des films supraconducteurs recouverts d’un film métallique pour la limitation du courant DC. De plus, l’observation d’une récupération des propriétés supraconductrices sous courant de trans111 port permet d’envisager un fonctionnement autonome d’un LSC , lors de régimes transitoires de sur-courants comme il l’a été vérifié avec l’enclenchement d’un transformateur. Les conditions limites de ce fonctionnement autonome sont discutées dans le paragraphe suivant. III.4.4 conditions de récupération Alors que le courant nominal peut être théoriquement fixé à une valeur In ≃ 1, 2Ic , celui-ci devra rester inférieur à une valeur seuil pour envisager un retour vers l’état supraconducteur sous courant. Pour les puissances volumiques mises en oeuvre ici et des temps de défaut de 500 ms, In ne doit par être supérieur à 0, 4Ic . Au dessus de cette valeur seuil, le temps de récupération tr dépasse la limite expérimentale de 10 s. La courbe de la Figure III.25 donne l’évolution du temps tr pour deux durées de défaut en fonction de l’énergie volumique totale fournie au système pendant les 2 dernières phases de l’expérience. La puissance maximale de défaut est ici constante (de l’ordre de 50 W atts), et l’énergie volumique totale Etot est donc modulée par le courant nominal In . 0,4 durée de défaut : 500ms durée de défaut : 300ms 200ms 0,2 0,8 ttot (s) tr (s) 0,3 0,6 0,1 0,4 2 4 Etot (106J/cm3) 0 1 2 3 6 4 5 6 Etot (10 J/cm3) Fig. III.25 – Temps de récupération tr en fonction de l’énergie volumique totale Etot dissipée pendant les phases de défauts et de régime nominal pour deux durées de défaut tcc . En insert est représenté l’évolution de la durée totale de séjour du limiteur à l’état dissipatif td + tr en fonction de Etot : les deux droites de la figure principale se confondent maintenant en une seule variation linéaire. 112 Il est trouvé que pour une même énergie Etot , la durée de récupération est d’autant plus longue que la durée de défaut est faible. Pour bien comprendre cette observation, il est utile de retourner aux courbes brutes (J, E)). La Figure III.23 montre en effet qu’après un premier pic, le courant retourne à une valeur inférieure à Ic mais supérieure au courant nominal, pendant toute la période restante du défaut. Cette limitation très efficace, alliée à l’existence d’une résistance thermique de contact entre les films d’Y BaCuO et d’or, permet un refroidissement progressif de la couche SHTC, et celà dés le début du défaut. La Figure III.25 montre ainsi que l’écart entre les deux droites établies pour des temps de défauts de 300 ms et 500 ms est de 200 ms, soit exactement la valeur correspondant à la différence entre ces deux durées de défaut. La linéarité de la variation tr en fonction de Etot s’explique quant à elle par la puissance finie de court-circuit du montage, fixant l’inverse de la pente de la droite tr (Etot ). En effet, l’énergie de défaut (en Joules) peut s’écrire Edef aut ≃ Pcc tcc . L’énergie Erecup dissipée ensuite pendant la période de récupération sous courant, bien qu’inférieure à celle développée pendant le défaut, n’infléchit que de façon négligeable la croissance linéaire en fonction du temps de l’énergie totale emmagasinée par Rle LSC. Cela correspond à l’équation suivante : Etot = Ecc + Erecup = Pcc tcc + Pcc .dt ≃ Pcc (tcc + tr ) = α + βtr , où α et β sont des constantes. Pour la première fois, il est démontré que des films minces Y BaCuO/Au peuvent être employé comme limiteur de courant DC. De manière similaire aux limiteurs AC, ils transitent brutalement vers l’état normal (< 10µs) et peuvent recouvrir leur état supraconducteur sous courant. Cette étude préliminaire sera étendue, dans un futur proche, à des dispositifs de moyenne puissance avec des films moins onéreux afin de valider ce concept. Dans ce cadre, le développement d’un prototype 100kV A est l’objectif du projet régional LUCCY 45 qui débutera en octobre 2003. 45. LimiteUr de Courant Continu à base d’YBaCuO 113 III.5 Perspectives De nombreuses perspectives et interrogations subsistent à la fin de cette étude sur la limitation du courant à l’aide de films supraconducteurs. La compréhension de l’origine et du comportement de la transition dissipative vers l’état normal reste encore incertaine. Bien que des éléments en faveur d’une transition “magnétique” soient établis, la question de l’origine du saut vers l’état normal reste ouverte. Une idée séduisante pour y répondre serait peut être d’étudier en détail et par des mesures précises à bas bruit, les phénomènes de diffusion magnétique du courant qui pourraient induire une transition localisée des films aux bords dans le cas d’accroissement dI/dt du courant élevé. Malgré diverses tentatives durant cette thèse, ce point n’a jamais pu être vérifié, peut être à cause des trop faibles dI/dt accessibles avec le matériel disponible. Une autre perspective intéressante serait de pouvoir contrôler précisément le déclenchement du régime de limitation (c’est à dire la transition vers l’état normal). A cette fin, il a été imaginé en collaboration avec D. Buzon d’utiliser un champ électrique extérieur, facilement disponible dans le cas d’une insertion du limiteur dans un réseau, pour modifier les propriétés supraconductrices 46 , 47 , 48 et induire le passage vers l’état normal. Malgré des expériences avec des tensions de 200 V appliquées sur l’épaisseur du film (soit en première approximation 800 MV /m), il n’a jamais été observé d’effets significatifs de champ électrique sur-imposé sur la transition des films. Toutefois, cette idée n’est pas à abandonner et mérite certainement une investigation plus développée et précise. Des performances très encourageantes des bicouches Y BaCuO/Au pour la limitation du courant AC ou DC ont également été atteintes et il est mis en évidence qualitativement que ces systèmes peuvent récupérer leur état “transparent” sous courant. Il reste toutefois à modéliser et à quantifier la “situation thermique” d’un système multiple (substrat+Supraconducteur+Métal) afin de prédire les performances maximales de limitation et de récupération d’un futur LSC dispositif. L’étude du rôle du shunt métallique sur la transition et des performances de limitation-récupération devront aussi être engagées, en faisant par exemple varier les rapports d’épaisseurs entre supraconducteur et shunt métallique. Enfin, la finalité sera d’adapter et de vérifier progressivement les résultats obtenus à plus grande échelle et de concevoir des prototypes de diverses puissances. Dans ce cadre, l’auteur espère que ces travaux contribueront à la réussite d’un futur limiteur DC LUCCY dans les prochaines années. 46. X.X. Xi et al., 1991 Appl. Phys. Let. 59 3470 47. X.X. Xi et al., 1991 Appl. Phys. Let. 59 3470 48. Yu.V. Gomeniuk et al., 1993 Appl. Phys. Let. 85 643 114 Conclusion L’étude de la transition dissipative des films supraconducteurs sous courant de transport est le thème des recherches menées dans le cadre de cette thèse. Afin de bien comprendre la phénoménologie du passage de l’état supraconducteur vers l’état normal, la dissipation a été explorée dans des films modèles de niobium. A forte dissipation, un saut de tension vers l’état normal est observé. Les propriétés de ce dernier indiquent que l’abrupte transition peut s’interpréter comme un effet de la distribution hors équilibre des quasiparticules éjectées du coeur des vortex en mouvement. Il a été montré que ce phénomène dépend considérablement de la nature électronique des vortex. Les couches minces de niobium ont également permis de mettre en évidence le rôle majeur de la surface des films sur le courant critique. Une comparaison d’échantillons avec des propriétés supraconductrices similaires mais avec des morphologies ou des états de surface différents, indiquent que la rugosité de surface peut considérablement augmenter le courant critique. Pour le cas présenté dans ce manuscrit, un gain de courant critique de l’ordre de 50% peut être atteint. Il a été également montré, de façon assez convaincante, que la barrière de surface peut dominer l’entrée/sortie des vortex et déterminer complètement la valeur du courant critique. Il a été ainsi observé que le courant critique peut être plus important pour des films de largeur plus faibles mais d’épaisseurs identiques. Ce phénomène reste au moment de la rédaction encore sans interprétation définitive. D’autre part, l’effet des bords d’un film supraconducteur sur son courant critique a été mis en évidence dans des tricouches Au/Nb/Au. Une asymétrie géométrique des bords de ces dernières se traduit par une asymétrie du courant critique. Le courant Ic est d’autant plus élevé que le sens du courant privilégie l’entrée des vortex par un coté ondulé. Cette asymétrie de Ic reste à comprendre mais permettrait d’envisager de nombreuses applications tel que, par exemple, des “diodes supraconductrices” à seuil variable. En attendant le développement d’applications basées sur les propriétés de surface ou de bords, le passage de l’état supraconducteur vers l’état normal de films d’Y BaCuO est envisagé pour la limitation du courant. Dans un premier temps, la transition dissipative en champ propre des films d’Y BaCuO a été étudiée en fonction de la vitesse d’injection du courant. Il a été ainsi montré qu’un régime d’écoulement visqueux des vortex (“flux flow”) prend également place avant un brusque saut vers l’état normal. Cette abrupte transition intervient à environ trois fois le courant critique à bas niveau lorsque les effets thermiques sont réduits à leur minimum. Cette valeur donne le courant de déclenchement intrinsèque d’un limiteur de courant. Ce travail de thèse a aussi permis de montrer qu’un futur limiteur de courant alternatif avec des films d’Y BaCuO peut limiter efficacement pendant plusieurs périodes de défaut de courant en développant des champs électriques de l’ordre de 2 kV /m. La récupération de ces limiteurs sous régime nominal aprés un surcourant transitoire a été prouvée pour la première fois, confirmant ainsi l’attractivité des supraconducteurs pour cette application spécifique. Enfin, la faisablité de limiteur de courant continu avec des films d’Y BaCuO est démontrée de manière originale et pourrait s’avérer être importante pour le développement de futurs réseaux électriques en courant continu. 116 Titre de thèse : Couches minces supraconductrices sous courant de transport : dissipation et application La compréhension de la dissipation dans l’état supraconducteur est l’une des clefs de l’émergence de la technologie supraconductrice. Dans le cadre particulier des couches minces, cette thèse décrit le passage de l’état supraconducteur vers l’état normal sous l’effet d’un courant de transport, et ses possibles implications technologiques. Un régime d’écoulement visqueux de vortex (flux flow) suivi par un brusque saut vers l’état normal est tout d’abord identifié et discuté dans des films de niobium. Il est également montré, dans ces couches minces, l’influence des surfaces sur la dynamique des vortex. La transition vers l’état normal de films d’YBaCuO permet ensuite de vérifier le haut potentiel des supraconducteurs comme limiteurs de courant alternatif ou continu. Il est enfin démontré que de tels systèmes peuvent récupérer leur état supraconducteur sous courant. Mots clefs : supraconductivité, dissipation, vortex, surfaces, limitation du courant, couches minces Title of thesis : Superconducting thin films on transport current : dissipation and application The comprehension of the dissipation in the superconducting state is one of the keys for the development of the technology with superconductors. In the particular field of thin films, this thesis describes the transition on transport current from the superconducting state to the normal state and its technological implications. A viscous motion of vortex (flux flow) followed by an abrupt transition to the normal state is first identified and discussed in niobium thin films. The influence of surfaces on vortex dynamics is also revealed. In a second part, the transition to the normal state for YBaCuO films confirms the high potentiel of superconductors as AC or DC current limiters. It is finally demonstrated that such systems can recover their superconducting state under current. Key words : superconductivity, dissipation, vortex, surfaces, current limitation, thin films
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